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Histoire anecdotique du tribunal révolutionnaire

9781465649751
313 pages
Library of Alexandria
Overview
Un poëte allemand a fait une ballade pleine d'aspects fantastiques et terrifiants, sur la grande revue que l'empereur, mort, vient passer à minuit dans les Champs-Elysées. C'est d'abord un tambour qui se lève de terre et dont les baguettes, frappant sur une peau diaphane, vont réveiller à la sourdine les soldats de la garde. Le tractrac nocturne retentit entre les arbres grêles et enveloppés de vapeur; il se prolonge, s'éteint et revient plus impérieux, passant plusieurs fois par les mêmes places. A cette voix de la guerre, des masses confuses surgissent et s'ébranlent, des ombres se dégagent; on entrevoit, sous les suaires déchirés, des épaulettes pâles, des galons d'argent terni, des uniformes décolorés. Le vent passe avec effroi. Derrière lui, un escadron vaguement éclairé par un rayon de la lune roule sa vague blanchâtre; les plumets frissonnent, quelques épées reluisent comme un courant d'eau aperçu par hasard; on entend un sourd piétinement de chevaux; les crinières s'échevèlent et fouettent l'air glacé. Le tambour bat toujours. Un son de trompette, clair et vibrant, traverse l'espace et enlève quelques voiles à ce tableau étrange qui se meut dans le brouillard du minuit d'automne. Sous les plis d'un glorieux haillon tricolore, percé, frangé, surmonté d'un aigle d'or, s'avance une forêt de bonnets d'ours, légion silencieuse, hommes graves et tristes, âmes d'enfant auxquelles les turbulences d'une guerre continue ont épargné les passions vulgaires. Ils s'avancent, ces géants aux yeux encore endormis; ils ont cet air stoïque que donne seul le tête-à-tête perpétuel avec le canon; sur la poitrine de quelques-uns étincelle l'étoile de la Légion-d'Honneur. Devant eux marchent pesamment, la hache à l'épaule, ces sapeurs en tablier de peau qui faisaient tomber les portes des villes. Le ciel jette une clarté avare sur ce pêle-mêle, qui bientôt se développe, s'accroît à l'infini et remplit, inonde les Champs-Elysées. Rien n'est bien précis, mais tout est indiqué. Le noir des canons s'accuse dans un des côtés nuageux de cette grande toile; la canne à pomme du tambour-major trace en l'air des lignes bizarres mais triomphantes;—on dirait du magicien de la victoire;—les croupes des chevaux cabrés s'étalent à deux pouces du sol. Peu à peu, un tressaillement général, semblable à une menace de tempête, circule à travers les rangs noyés de cette foule militaire; un commandement retentit: Portez armes! et l'on entend une vaste secousse métallique, un bruit pareil à celui que ferait un énorme sac d'argent tombant de très haut. Puis, la vision s'immobilise. On sent qu'il va se passer quelque chose de grand; les yeux, les oreilles, les esprits sont dans l'attente; personne n'ose respirer. Tout à coup, du fond des Champs-Elysées, là-bas où le regard se perd, naît une clameur faite de mille voix, qui se rapproche, s'étend, court et galope,—escortant un tourbillon de généraux empanachés et de mamelucks mystérieux, à la tête desquels apparaît le fantôme impérial. Il ne fait que passer, rapide et muet; et cette grande figure, un moment sortie du tombeau, illumine cette sombre armée qui, comme une traînée de poudre, n'attendait que le contact de la mèche pour éclater en flammes soudaines!