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Coeur De Sceptique

9781465686008
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Alors, décidément, vous me quittez ?… Vous préférez rentrer sans visiter la sculpture ? — Chère, entre nous, rien ne me laisse plus froide que les statues… Puis, il est déjà cinq heures et demie. Il faut que je retourne chez moi m’habiller ; je dîne en ville, et mon mari, vous le savez, est l’exactitude personnifiée ! Les deux jeunes femmes s’étaient arrêtées devant l’escalier qui conduisait des salons de peinture dans le jardin que la profusion des statues semait de formes blanches, profilées sur le fond verdoyant des massifs. Elles descendirent lentement les marches, d’un pas nonchalant de très jolies femmes, certaines qu’aucun détail de leur mise ne pouvait donner prise à une critique. Sûrement, elles n’avaient point trop piétiné à travers les salles nombreuses, ni ne s’étaient fatigué les yeux à contempler les toiles exposées ; leurs visages, aussi reposés que deux heures plus tôt quand elles étaient entrées au Salon, le révélaient hautement. Elles avaient simplement fait une agréable promenade qualifiée d’artistique par suite du milieu où elles l’effectuaient, et durant laquelle, surtout, elles avaient goûté le plaisir tout féminin de se sentir très regardées et de recevoir l’hommage discret des yeux qu’elles charmaient au passage. — Ainsi, Isabelle, vous restez encore ? — Très chère, j’ai envie d’accomplir mon pèlerinage au complet… Et puis, raison majeure, je dois attendre l’heure du rendez-vous que j’ai donné à mes bébés et à leur gouvernante… six heures moins le quart… j’ai encore vingt minutes devant moi… Mais je ne veux pas vous retenir… Alors, ce soir, vous serez chez les de Bernes… pour vous livrer aux douceurs du poker ?… Au revoir et à bientôt, n’est-ce pas ? Elles se serrèrent la main en souriant, comme des amies qui s’apprécient d’autant plus que, physiquement, elles n’ont rien à s’envier, ayant été également bien servies par la bonne nature ; et la comtesse Isabelle de Vianne demeura une seconde immobile, au seuil du jardin, à suivre des yeux sa compagne qui s’éloignait, laissant traîner sur le sable les plis de sa longue robe soyeuse, la taille cambrée, les cheveux d’un or roux serrés en une torsade mousseuse sous la paille sombre du chapeau voilé de dentelle. Alors elle eut un retour vers sa propre beauté, dont, quelques instants plus tôt, elle avait constaté l’éclat dans les hautes glaces du Salon de conversation ; et un léger sourire de satisfaction, à peine esquissé, courut sur ses lèvres : elle se savait capable de soutenir toutes les comparaisons. Puis, suivant au hasard une allée du jardin, elle se mit nonchalamment à marcher droit devant elle, de son allure distinguée et indifférente, sans embarras de sa solitude, en femme habituée, par un veuvage prématuré, à compter sur elle seule dans tous les milieux et dans toutes les circonstances. Mais, tout à coup, ses traits perdirent leur expression distraite, et une imperceptible exclamation lui échappa à la vue d’un homme jeune, — trente-cinq ans environ, — debout devant un marbre dont il étudiait les détails si attentivement qu’il ne remarquait pas la jeune femme arrêtée à ses côtés, le contemplant avec un demi-sourire.