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Aimée Villard, fille de France

9781465683786
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Ce dimanche de la Passion du Sauveur, Aimée Villard s’était levée avant que le ciel eût blanchi. Toute la nuit, le vent avait couru par la campagne et dans les nuages. Le jour était sorti des collines lavées par de brusques pluies. Et dans l’air, tournaient des courants tièdes et des odeurs de terre en travail. Au petit domaine de la Genett, la besogne ne manquait pas. La maison paysanne était plantée sur le roc; une terrasse la précédait, et face au seuil s’ouvrait une vaste salle, à la cheminée profonde. Près de la fenêtre qui donnait sur le verger, l’horloge de bois rouge battait; son disque allant et venant amusait les yeux et invitait à la vaillance; elle sonnait à coups pressés qui semblaient dégringoler les uns sur les autres, du panier fleuri, honneur d’un cadran bien émaillé. Non loin était placé le coffre à pétrir le pain. Et dressée au centre, plus longue que large, la table de cerisier luisait, polie par le coude des maîtres et des journaliers. En face, tournée vers la porte, la commode surmontée des barres du vaisselier montrait en bonne lumière les plats, les assiettes, les pots où les bleus, les rouges et les jaunes, étalés par un rustique pinceau, chantaient ensemble. Sur le côté, à main droite, près de l’échelle qui montait au grenier, était la chambre où couchaient Aimée, ses deux petites sœurs Yvonne et Ernestine, et le petit Jean. Dans la salle à manger et à cuisiner, la mère Villard et son homme Pierre couchaient dans un lit bourré de couettes et de couvre pieds. Le grand père, qui avait atteint les quatre vingts ans, gagnait de bonne heure sa couche large et carrée, établie sur quatre pieds ronds dont on n’avait pas enlevé toute l’écorce. Quand il en sortait, c’était pour se rencogner sous le manteau de la cheminée, en hiver, ou se chauffer, à la plaisante saison, sur la terrasse. Ce n’était pas une mince affaire que de laver et de peigner Jean, Ernestine et Yvonne. Aussi, Aimée se levait elle plus tôt le dimanche. Les petits n’aimaient guère l’eau froide et elle allait chauffer la serviette mouillée devant le feu de la cuisine, pour leur complaire. Comme on disait, elle en devenait bête à force de les chérir. Quand elle peignait leurs cheveux ébouriffés, elle disait sans cesse: «Est ce que je te fais mal?» Souvent les petiots abusaient de sa bonté. Que lui importait! Elle était heureuse en considérant seulement leurs figures rondes où les joues luisaient comme deux pommes d’api. Ayant fait ses dix huit années, depuis la semaine de Chandeleur, elle pensait qu’elle avait presque l’âge d’une jeune maman. La mère était assez pressée par l’humble travail qui commande sans cesse. Allumer le feu, donner à manger aux volailles, traire, apprêter les repas, ce ne sont pas des choses qui se font en deux mouvements.