Sous d'humbles toits
9781465682253
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Si de toi, jadis, il n’y a pas longtemps encore, j’ai pu médire, que je le regrette ! Mais je sais que tu me le pardonnes, toi qui jamais n’as dit « un mot plus haut que l’autre, » toi, le doux, le pacifique qui te réservais tes dernières années de souffrances muettes, et ta dernière heure avec ton cri: — Mon Dieu, je vous donne ma vie pour qu’Henri devienne bon ! Tu me posais des questions, auxquelles je ne répondais que par monosyllabes, sur ma vie, mes occupations, mes repas. Tu n’as jamais su combien j’étais ému, à voir les efforts que tu faisais pour me montrer que tu t’intéressais à mon travail. Mais vivre à Paris nous rend autres que nous ne sommes: nous en venons avec ce que nous croyons être des idées sur notre supériorité intellectuelle et morale. C’était plus fort que moi: je ne pouvais te donner ces détails qui t’auraient fait si grand plaisir. Et tu es parti — qu’il en est souvent ainsi ! — sans me bien connaître, sans savoir ce qu’il y avait au fond de moi-même, puisque tu as demandé que je devienne bon. Mais ce n’est pas du tout ta faute. Tu te tenais au coin du feu, dans un de ces vieux fauteuils en osier que ne vendent pas cher ces marchands ambulants que l’on appelle chez nous tantôt « bohémiens » tantôt « pacants ». Tu ne les aimais pas, ces hommes qui ne se fatiguent guère, toi l’acharné au rude travail, ces errants qui vont d’un bout à l’autre du monde, toi qui, de trente années, ne sortis point de ce bourg de trois mille âmes, où tu es encore maintenant. Mais tu ne les injuriais, ne les repoussais point. Tu ne me grondais pas lorsque tu apprenais qu’à une femme qui paraissait malheureuse j’avais donné deux sous.