Au coeur du Harem
9781465672230
213 pages
Library of Alexandria
Overview
J’ai ressenti ma première impression d’exil dans le port de Naples. J’ai souvent revu cette rade merveilleuse. Sous de brûlants midi de juillet, par de paisibles soirs de mai, en octobre alors que sous le vélum d’un ciel azuré, d’un ciel sans nuages, les arbres secouaient au vent du large leurs branches légères, alors que le parfum troublant des fleurs innombrables et l’odeur forte des algues marines passaient en effluves violents et délicieux… Ces jours-là, j’ai connu, sous ce ciel et dans ce port, la douceur de vivre. Mais à mon premier passage, après l’émouvante anxiété du péril à peine évité, dans la surprise de mon ignorance, mes dix-sept ans s’épouvantèrent devant l’inconnu de cette ville, où nous abordions à la nuit noire et par une mer démontée. Grandie à Cette, je ne craignais guère les ennuis physiques de la traversée ; tangage et roulis n’étaient point pour surprendre celle dont les premiers plaisirs avaient été les dangereuses promenades en youyou, qu’elle ne dédaignait point de conduire. Mais je n’avais jamais été plus loin que Marseille et je n’avais non plus jamais essuyé de véritable tempête, sur un grand vaisseau, et par un gros temps. Déjà, un accident de machine nous avait immobilisés quinze heures à La Ciotat. L’Ebre qui nous emportait était trop endommagé pour continuer sa route ; il fallut transborder sur le Peluse. Ici se place le premier événement curieux parmi le chapelet de mes souvenirs. Durant le temps qu’on déchargeait les marchandises, nous avions pris la route des champs, en ce pays que nous ignorions. Nous suivîmes un petit sentier fleuri d’aubépines et tout à coup, nous nous trouvâmes dans le cimetière de La Ciotat. Le soir tombait. Une brise légère passait sur nos têtes, charriant le parfum des premières fleurs du printemps. Cher printemps de mon doux pays de France, que je n’ai plus revu, jamais… Nous nous assîmes sur une pierre tombale, l’âme noyée d’une tristesse infinie. Sur un mûrier, tout près de nous, le rossignol égrenait ses trilles, l’heure était à la fois si profondément douce et si voluptueusement mélancolique, que je ne savais plus si j’étais heureuse, ou si je détestais la vie, dans ce champ de mort qui semblait un jardin de rêve. Et voici qu’une chose extraordinaire se produisit. Autour de nous, des oiseaux bizarres passèrent. Toutes les couleurs du soleil couchant brillaient sur leurs plumes ; et de chaque arbre et sur chaque tombe, un perroquet s’envolait en poussant des cris aigus. Je me crus le jouet d’une subite hallucination. La vérité était bien plus simple. Un navire marchand, chargé de ces bêtes qu’il emportait d’Anvers, avait fait naufrage, la veille, sur nos côtes et les perroquets peuplaient la contrée… Avec eux, la Magie de l’heure s’était évanouie.