Journal d'une Comédienne Française sous la Terreur Bolchevik
                                                            
                                    
                                            Robert Green Ingersoll 
                                    
                                
                            9781465671264
                                213 pages
                            Library of Alexandria
                            
                            
                                
                         
                        
                                
Overview
                                A l’issue de la représentation du Roi, au théâtre Michel, le grand-duc Dimitri, cousin de l’empereur, fils du grand-duc Paul, a tenu à se faire présenter les artistes. Il s’est montré spécialement aimable à mon égard: «—Quelle jolie robe vous avez, mademoiselle! a-t-il daigné me déclarer. N’est-elle pas faite à la machine?» Pour l’honneur du commerce français, j’ai répondu, avec une belle révérence de cour, que la robe était entièrement faite à la main. Mes camarades sont ravies de la présentation à cette Altesse impériale qui est célèbre à la cour, mais que l’on voit trop rarement aux représentations françaises. Nous sommes en pleine saison des grands-ducs. Dimitri est regardé avec curiosité et sympathie. Nous admirons toutes sa silhouette élégante, sa distinction. Il est très jeune, mais je suis frappée de sa pâleur. Son amabilité est réelle, mais on dirait, à voir ses yeux, que sa pensée est ailleurs. Il s’arrête un long moment encore, pour me parler, comme s’il y prenait un particulier plaisir. Il a fait signe aussi à Renée Baltha, qui vient de jouer avec moi, et, brusquement, le grand-duc nous demande: «—Voulez-vous venir souper ce soir avec moi, toutes les deux?» Sa voix est sèche et l’intonation me surprend. Il ajoute: «—Je donne à souper au Palais de marbre...» L’invitation serait tentante. Ces soupers sont célèbres par leur luxe inouï. La grande ballerine Karali, maîtresse de Dimitri, présidera sans doute. Déjà l’on nous considère, Baltha et moi, avec envie. Tout à coup, le grand-duc ajoute, d’un ton qui est devenu grave, étrange même: —Ce sera un souper historique. Mais, à ce moment, d’autres dames sont présentées. Nous n’avons pas eu le temps de répondre. Ma camarade et moi nous nous regardons, avec une même pensée d’inquiétude. Sur quel ton a été prononcé ce mot: historique?... En ce singulier pays, il y a trop d’heures historiques. Et puis je suis très fatiguée, ce soir. Baltha aussi est fatiguée. Bah! quelque fantaisie nouvelle, coûteuse, quelque orgie, comme ces princes de la couronne savent en organiser pour distraire leur neurasthénie! Décidément, nous n’irons pas. Mais nous avons un peu de curiosité, tout de même, de savoir ce qui va se passer... Nous l’apprendrons demain.