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Souvenirs entomologiques: Étude sur l'instinct et les moeurs des insectes (Complete)

9781465668172
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Les choses se passèrent ainsi. Nous étions cinq ou six: moi le plus vieux, leur maître, mais encore plus leur compagnon et leur ami; eux, jeunes gens à coeur chaleureux, à riante imagination, débordant de cette sève printanière de la vie qui nous rend si expansifs et si désireux de connaître. Devisant de choses et d'autres, par un sentier bordé d'hyèbles et d'aubépines, où déjà la Cétoine dorée s'enivrait d'amères senteurs sur les corymbes épanouis, on allait voir si le Scarabée sacré avait fait sa première apparition au plateau sablonneux des Angles[1], et roulait sa pilule de bouse, image du monde pour la vieille Égypte; on allait s'informer si les eaux vives de la base de la colline n'abritaient point, sous leur tapis de lentilles aquatiques, de jeunes tritons, dont les branchies ressemblent à de menus rameaux de corail; si l'épinoche, l'élégant petit poisson des ruisselets, avait mis sa cravate de noces, azur et pourpre; si, de son aile aiguë, l'hirondelle, nouvellement arrivée, effleurait la prairie, pourchassant les tipules, qui sèment leurs oeufs en dansant; si, sur le seuil d'un terrier creusé dans le grès, le lézard ocellé étalait au soleil sa croupe constellée de taches bleues; si la mouette rieuse, venue de la mer à la suite des légions de poissons qui remontent le Rhône pour frayer dans ses eaux, planait par bandes sur le fleuve en jetant par intervalles son cri pareil à l'éclat de rire d'un maniaque; si… mais tenons-nous-en là; pour abréger, disons que, gens simples et naïfs, prenant un vif plaisir à vivre avec les bêtes, nous allions passer une matinée à la fête ineffable du réveil de la vie au printemps. Les événements répondirent à nos espérances. L'épinoche avait fait sa toilette; ses écailles eussent fait pâlir l'éclat de l'argent; sa gorge était frottée du plus vif vermillon. À l'approche de l'aulastome, grosse sangsue noire mal intentionnée, sur le dos, sur les flancs, ses aiguillons brusquement se dressaient, comme poussés par un ressort. Devant cette attitude déterminée, le bandit se laisse honteusement couler parmi les herbages. La gent béate des mollusques, planorbes, physes, limnées, humait l'air à la surface des eaux. L'hydrophile et sa hideuse larve, pirates des mares, tantôt à l'un tantôt à l'autre en passant tordaient le cou. Le stupide troupeau ne paraissait pas même s'en apercevoir. Mais laissons les eaux de la plaine et gravissons la falaise qui nous sépare du plateau. Là-haut, des moutons pâturent, des chevaux s'exercent aux courses prochaines, tous distribuant la manne aux bousiers en liesse. Voici à l'oeuvre les coléoptères vidangeurs à qui est dévolue la haute mission d'expurger le sol de ses immondices. On ne se lasserait pas d'admirer la variété d'outils dont ils sont munis, soit pour remuer la matière stercorale, la dépecer, la façonner, soit pour creuser de profondes retraites où ils doivent s'enfermer avec leur butin. Cet outillage est comme un musée technologique, où tous les instruments de fouille seraient représentés. Il y a là des pièces qui semblent imitées de celles de l'industrie humaine; il y en a d'autres d'un type original, où nous pourrions nous- mêmes prendre modèle pour de nouvelles combinaisons.