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L'Arcadie: suivie de La pierre d'Abraham

Bernardin de Saint-Pierre

9781465664549
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Ce livre n’offre que le commencement d’une sorte d’épopée que Bernardin de Saint-Pierre n’a pas achevée ; ce premier fragment serait mieux nommé les Gaules. Le lecteur remarquera sans peine le rapport de ces pages avec celles du Télémaque, qui les a inspirées. Châteaubriand, dans les Martyrs, a animé de même toute cette mythologie par le contraste de ses peintures admirables des hommes et des choses dont le christianisme se glorifie. Un peu avant l’équinoxe d’automne, Tirtée, berger d’Arcadie, faisait paître son troupeau sur une croupe du mont Lycée qui s’avance le long du golfe de Messénie. Il était assis sous des pins, au pied d’une roche, d’où il considérait au loin la mer agitée par les vents du midi. Ses flots, couleur d’olive, étaient blanchis d’écume qui jaillissait en gerbes sur toutes ses grèves. Des bateaux de pêcheurs, paraissant et disparaissant tour à tour entre les lames, hasardaient, en s’échouant sur le rivage, d’y chercher leur salut, tandis que de gros vaisseaux à la voile, tout penchés par la violence du vent, s’en éloignaient dans la crainte du naufrage. Au fond du golfe, des troupes de femmes et d’enfants levaient les mains au ciel, et jetaient de grands cris à la vue du danger que couraient ces pauvres mariniers, et des longues vagues qui venaient du large se briser en mugissant sur les rochers de Sténiclaros. Les échos du mont Lycée répétaient de toutes parts leurs bruits rauques et confus avec tant de vérité, que Tirtée parfois tournait la tête, croyant que la tempête était derrière lui, et que la mer brisait au haut de la montagne. Mais les cris des foulques et des mouettes qui venaient, en battant des ailes, s’y réfugier, et les éclairs qui sillonnaient l’horizon, lui faisaient bien voir que la sécurité était sur la terre, et que la tourmente était encore plus grande au loin qu’elle ne paraissait à sa vue. Tirtée plaignait le sort des matelots, et bénissait celui des bergers, semblable en quelque sorte à celui des dieux, puisqu’il mettait le calme dans son cœur et la tempête sous ses pieds. Pendant qu’il se livrait à la reconnaissance envers le ciel, deux hommes d’une belle figure parurent sur le grand chemin qui passait au-dessous de lui, vers le bas de la montagne. L’un était dans la force de l’âge, et l’autre encore dans sa fleur. Ils marchaient à la hâte, comme des voyageurs qui se pressent d’arriver. Dès qu’ils furent à la portée de la voix, le plus âgé demanda à Tirtée s’ils n’étaient pas sur la route d’Argos.