Bijou
9781465652355
188 pages
Library of Alexandria
Overview
LA marquise de Bracieux travaillait pour ses pauvres; elle piqua dans la pelote de laine bourrue son gros crochet d’écaille blonde et, posant la pelote sur ses genoux, leva la tête vers son petit-neveu Jean de Blaye: —Jean?... qu’est-ce que tu regardes donc de si intéressant?... tu es là à t’écraser le nez contre la vitre, absolument comme quand tu étais petit... et insupportable... Jean de Blaye redressa brusquement le front, qu’il appuyait aux carreaux de la baie, et répondit avec un peu d’hésitation: —Moi?... mais rien, ma tante!... rien du tout!... —Rien du tout?... Eh bien, tu regardes rien du tout avec beaucoup d’attention!... —Ne le croyez pas, grand’mère!...—dit madame de Rueille de sa belle voix grave—il espère toujours voir paraître un fiacre au tournant de l’avenue... La marquise demanda: —Est-ce qu’il attend quelqu’un?... M. de Rueille expliqua en riant: —Non!... mais un fiacre... même un fiacre de Pont-sur-Loire, lui rappellerait Paris!... c’est une taquinerie de Bertrade... Jean murmura, sans bouger: —Oh!... je ne tiens pas tant que ça à me rappeler Paris!... Madame de Rueille le considéra avec étonnement, et, se tournant vers sa grand’mère: —On dirait presque qu’il est sincère?... —Sincère, mais absorbé!...—fit la marquise. Et, s’adressant à un jeune abbé qui jouait au loto avec les petits de Rueille, elle demanda: —Monsieur l’abbé, dites-nous donc s’il se passe sur la terrasse quelque chose d’intéressant?... L’abbé, assis le dos à la grande baie, regarda derrière lui par-dessus son épaule, et répondit aussitôt: —Je ne vois pas la moindre chose intéressante, madame la marquise...—Pas la moindre... —affirma Jean. Et, quittant la fenêtre, il vint s’asseoir sur un divan. Un des petits de Rueille, négligeant ses cartons de loto, et laissant l’abbé répéter les numéros avec une inaltérable patience, s’était juché sur une chaise, et, grimaçant, semblait faire par la fenêtre, des signaux à quelqu’un.