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Les Bains de Bade

Petit Roman d'aventures Galantes et Norales

9781465640222
281 pages
Library of Alexandria
Overview
L'air de Bade est tempéré, et la vertu des eaux n'y a point cette violence qui vous contraindrait d'en mesurer l'usage; ce qui fait que l'on y passe presque tout le temps au bain. Vous ne vous étonnez déjà plus que l'on y coudoie à chaque instant des gens vêtus de la façon que j'ai décrite précédemment. Ajoutez que la mésaventure qui m'arriva pour le seul fait d'avoir confié ma sacoche à un porteur, pour peu qu'elle soit le signe de la probité locale, vous incline à concevoir avec indulgence que tout le monde aille ici à peu près nu. Mais cette coutume a un autre fondement, et c'est qu'elle est symbolique, et donne à entendre que chacun ici s'accorde la faveur, ou se donne la peine,—c'est selon le tempérament—de n'apparaître qu'au naturel. Je ne sais si je me fais saisir comme il faut, et si l'esprit n'a pas besoin de quelque préparation métaphysique pour concevoir qu'un homme puisse se montrer au naturel. Ha! c'est par la raison que notre corruption est profonde! Vous voilà donc prévenu, mon cher Niccolo. Ne levez pas les bras; ne criez pas au miracle quand vous m'entendrez rapporter quelque propos badois. Le récit de ma première journée a dû vous préparer suffisamment. Pour moi, dès le soir de ce jour, et dès l'instant que je fermai l'œil à l'hôtellerie du Guet-Apens, et soigneusement bordé par mon voleur, entre monseigneur l'Électeur de Bavière et monsieur Gerson, chancelier de l'Université de Paris, j'étais formé à ne me plus laisser ébahir par ce que je pourrais apercevoir de plus étrange. Je rentrerai donc, sans plus de précautions oratoires, dans le vif de l'emploi quotidien de ma saison. Je brûlais de revoir la signora Bianca Capella, et aussi mesdames de la Tourmeulière et de Bubinthal, sans oublier toutefois la petite demoiselle que j'avais crue couverte, pour tout vêtement, de l'étole de monsieur l'évêque. Il n'y a pas d'impossibilité, pensai-je dès le matin, que ces dames ne soient logées à l'hôtellerie du Guet-Apens, ainsi que plusieurs personnages notables. Cependant j'hésitais à m'en informer par un reste de méfiance contre mon hôtelier et ses valets. Ces gens-là, me dis-je, m'affirmeront tout aussi bien que ces dames sont de l'autre côté de la cloison, pour me faire demeurer ici, car ils sont menteurs en même temps que voleurs. C'était bien mal raisonner. —On appelle menteurs, me fit observer l'hôtelier du Guet-Apens, les malheureux des pays barbares, à qui la société impose de se faufiler constamment entre mille obstacles ennemis, pour atteindre tel but qui ne peut leur être indifférent. Ils essayent de tourner ces obstacles par la ruse, n'ayant point la faculté de les attaquer de front, ce à quoi ne manquent pas les Badois. Si je venais à croire, pour prendre un exemple frappant, que monsieur fût mieux pour mes intérêts, dans le lit de la rivière qui coule au bas de la fenêtre, plutôt qu'en celui-ci que j'ai gonflé du duvet de mes oies, je ne viendrais même pas dire à monsieur que le feu est en bas et qu'il est prudent de descendre par le bord de l'eau; je prendrais monsieur par la peau du col et je le laisserais rejoindre l'écume des flots par la vertu de son poids spécifique. Personne ne s'aviserait d'y retrouver à redire.