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Poussières de Paris

9781465638014
330 pages
Library of Alexandria
Overview
Dimanche 1er janvier: J’aime ma vie et j’aime aussi la vie, Toute la vie éparse et douce malgré tout, Comme on aime l’année avec ses raisins d’août, Avec sa neige de janvier, avec sa pluie. Georges Rodenbach. Et cet amant fervent de la vie, de la vie avec ses joies et ses douleurs, dont il a rendu les plus fugitives nuances, vient de mourir, à peine âgé de quarante ans. Cette année 98 l’a emporté, comme elle en a emporté tant d’autres; elle a cruellement fauché parmi le clan des artistes (puisqu’on ne peut plus écrire intellectuels, l’intellectualité étant devenue un parti politique). Oui, elle a été farouchement meurtrière de poètes et de penseurs, cette veule et vénéneuse année 98. Déjà lourde de mensonges et de trahisons, elle a été aussi assassin: elle a tué chez nous Gustave Moreau, Puvis de Chavannes, Stéphane Mallarmé, Auguste Lauzet; en Angleterre, Burne Jones. Et voilà qu’en s’enfuyant comme une voleuse, elle nous ravit le pur et délicat poète que fut M. Georges Rodenbach. M. Octave Mirbeau a dit ici la genèse de cette poésie ardente et triste; mieux que personne, M. Mirbeau a expliqué les frissonnements de cette âme de sensitif, en racontant l’enfance de Georges Rodenbach passée toute dans les cimetières de Bruges, cette Bruges-la-Morte dont il a noté, dans un style de reflets et de larmes, l’atmosphère de jadis reflétée dans l’étain des canaux et pleurée goutte à goutte par la chanson des carillons. Quelque chose de moi dans les villes du Nord, Quelque chose survit de plus fort que la mort. En leurs quartiers lépreux qu’affligent des casernes Quelque chose de moi pleure dans les tambours, Et par les soirs de pluie, en leurs mornes faubourgs, Quelque chose de moi brûle dans les lanternes. Et, tandis que le vent s’exténue en reproches, Quelque chose de moi meurt déjà dans les cloches. Poète de la vie, certes, mais poète de la vie attristée par la perpétuelle obsession du néant, poète déjà frappé de mort et poursuivi dans toutes ses œuvres par le souvenir d’une enfance assombrie; et dans la mélancolie de ce 1er janvier, la plus morne journée de l’année, celle dont M. Edmond de Goncourt a pu écrire dans son journal: «Le jour de l’An, pour moi, c’est le jour des Morts», c’est à Rodenbach que je songe, Rodenbach dont je n’ai pas voulu suivre le convoi par horreur du mensonge des visages de circonstance et de la banalité prévue des discours. Il me semble que c’est un peu de son âme que je respire à travers les pages feuilletées de son ultime et dernier poème, le Miroir du ciel natal. Oui, tout Rodenbach s’évoque dans la résignation et la somnolence apaisée de ces beaux vers: La vieille église rêve en un vaste silence; La ville morte, avec sa tristesse, est autour; On en sent comme d’un malade, la présence, Et tout est assombri par l’ombre de la tour.