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Le Sylphe ou Songe de Mme de R***, écrit par elle-même à Mme de S***

9781465636287
211 pages
Library of Alexandria
Overview
Vous vous plaignez à tort de mon silence, Madame, & ce n'est pas assez pour accuser les gens de paresse d'être une fois sorti de la sienne. Que je vous ennuyerois si mon exactitude vous forçoit quelquefois à m'écrire! à peine avez-vous le tems de penser: considerez, peut-être ne l'avez-vous jamais fait, qu'il n'y a pas d'oisiveté au monde plus occupée que la vôtre. Le tumulte de Paris qui ne vous laisse pas le loisir de former une idée nette, les plaisirs qui se succedent sans cesse, la compagnie nombreuse dont le mélange amuse toujours, quelque ridicule qu'il puisse être; les façons de nos honnêtes gens, l'impertinence & la fadeur de nos petits maîtres, tant de Cour que de Ville, contraste bisarre, qui dans le grand nombre se trouve toujours réuni. Les avantures qui arrivent, & qui fournissent perpetuellement des occasions de médisance, les occupations de cœur, qui divertissent, même quand elles n'interessent pas. Le tems de la toilette si agréablement rempli par nos jeunes Sénateurs. Le plaisir toujours varié que donne la coquetterie, le jeu qui occupe quand la désertion d'un Amant ou les égards pour les bienséances laissent des momens à perdre: Eh comment! dans cet embarras pourriez-vous quelquefois songer à moi? Vous me reprochez mon goût pour la solitude; si vous sçaviez combien j'ai été agréablement occupée dans la mienne, vous viendriez avec moi prendre part à mes amusemens, quelque peu réels qu'ils soient peut-être. Vous vous moquerez de moi, sans doute, quand je vous avouerai que ces plaisirs que je vous vante tant, ne sont que des songes; oui, Madame, ce sont des songes; mais il en est dont l'illusion est pour nous un bonheur réel, & dont le flatteur souvenir contribüe plus à notre félicité que ces plaisirs d'habitude qui reviennent sans cesse, & qui nous pesent au milieu même du desir que nous avons de les bien goûter. Vous sçavez que de tout tems j'ai souhaité avec ardeur de voir un de ces esprits élémentaires, connus parmi nous sous le nom de Sylphes; j'ai toujours cru que ce n'étoit point dans le fracas des Villes qu'ils aimoient à se produire, & le pourrez-vous croire? Voilà l'idée qui m'entraînoit si souvent à la campagne, & me faisoit rejetter si fierement les conteurs de fleurettes: peut-être sans l'envie que j'avois d'être digne de l'amour d'un sylphe, aurois-je succombé? car il y en a de jolis de ces conteurs-là; je ne me repens point de ma séverité, puisqu'elle m'a conduite à mon but, c'est un songe, je ne vous donnerai mon avanture que sur ce pied-là, il faut ménager votre incrédulité. Cependant si c'étoit un songe, je me souviendrois de m'être endormie avant que de l'avoir commencé; j'aurois senti mon reveil, & puis quelle apparence qu'un songe eût autant de suite qu'il y en a dans ce que je vais vous raconter? comment aurois-je si bien retenu les discours du Sylphe? il n'est pas naturel que j'aie pensé ce que vous allez entendre, toutes les idées que vous y trouverez ne m'ont jamais été familieres: Oh assurément! je n'ai pas rêvé, vous en croirez au reste ce qu'il vous plaira; quant à moi, je ne me servirai pas de ces mots, il me sembloit, je croyois voir; je dirai, j'étois, je voyois; mais finissons ce préambule.