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Jusqu'à la fin du monde

Adolphe Retté

9781465597793
213 pages
Library of Alexandria
Overview
L’agonie de Jésus au Jardin des Olives, première phase de la Passion, déconcerte beaucoup trop de catholiques de même que les incommodent les vociférations et les crachats de la foule au prétoire de Pilate ou le bruit des marteaux frappant sur les clous qui rivent Jésus à la Croix. Il ne leur déplaît pas de s’asseoir au banquet des noces de Cana ; ils aiment assez à brandir des palmes, en chantant, le Jour des Rameaux. Mais souffrir avec Jésus, l’assister dans sa solitude, on y répugne. On préfère écarter la pensée de ce qu’Il donne pour nous. Un contemplatif le marque avec tristesse : « Bien des personnes, écrit-il, éprouvent une impression de gêne en présence de la Passion de Jésus-Christ ; et ce qui augmente ce malaise, c’est que Jésus nous invite à faire entrer sa Passion dans toute notre existence. » Oui, fort souvent, on ne veut demander au christianisme que des émotions agréables et superficielles. Et c’est à cause de cette barbare légèreté qu’en un grand nombre d’âmes, Jésus subira son agonie jusqu’à la fin du monde… Je ne suis qu’un atome à côté de Pascal et je prêterais à rire si j’avais l’outrecuidance de placer mes piètres écritures auprès du Mystère de Jésus. Pourtant, Dieu m’ayant octroyé la grâce de la souffrance quotidienne, daigne aussi m’insuffler la volonté de l’unir aux souffrances de mon Rédempteur. Je ne méritais pas cette marque de sa miséricorde. Qu’on me permette de rapporter la circonstance où je la reçus. J’étais de passage dans une ville populeuse et bruyante dont la plupart des habitants cherchaient à oublier les horreurs de la guerre en s’étourdissant parmi des liesses ignobles. Sans aucun doute, il s’y trouvait, çà et là, quelques âmes d’oraison mais je ne les connaissais pas. Déjà malade, environné d’indifférence joviale, à peu près sans le sou, je sentais le découragement s’insinuer en moi d’autant que l’avenir m’apparaissait très sombre. Je priais bien encore un peu, par bribes, non de l’âme mais du bout des lèvres, car l’A quoi bon ? père de toutes les désertions commençait à régir mes prières. Et le Mauvais en profitait, selon sa tactique invariable, pour me chuchoter que Celui à qui j’avais la naïveté de me confier ne prêtait nulle attention à mes plaintes. Un soir, je me traînais aux confins du désespoir ; je me disais que j’étais bien sot de m’enliser dans ma peine plutôt que de chercher une diversion brutale dans les fêtes grossières qui m’invitaient à chaque pas. En ce péril, je fus conduit, je ne sais comment, devant la porte entr’ouverte d’une église. D’un mouvement tout machinal je la poussai ; j’entrai dans le sanctuaire ; ce fut par habitude et sans même articuler une syllabe de dévotion que je m’inclinai devant le Saint-Sacrement.