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Souvenirs D'Une Actrice

9781465556448
260 pages
Library of Alexandria
Overview
Ce ne sont point des Mémoires que je veux publier, mais seulement des Souvenirs écrits à différentes époques, sous l’impression du moment, et dans un âge où ils ont dû se graver dans mon esprit en traits ineffaçables; ils se rapportent aux arts, à la littérature du temps; ils se rattachent à des noms célèbres, aux grands événements des époques, et les époques ont eu entre elles des couleurs bien différentes. Le temps dont je parle est déjà loin de nous. J’avais pris l’habitude, depuis que je commençais à prendre garde à ce qui se passait autour de moi, et lorsque je me trouvais dans des circonstances en dehors de la vie ordinaire, de retracer, dans une espèce de journal, les choses qui m’avaient le plus frappée, habitude que j’ai toujours conservée dans mes voyages, dans les pays étrangers, mais surtout en Russie, où j’écrivais à la lueur de l’incendie de Moscou sans savoir si ces détails parviendraient jamais à ma famille. On est bien aise de revoir plus lard ce qui aurait pu échapper à notre mémoire. Il arrive presque toujours aussi que notre manière d’envisager les choses lorsque nous les écrivons diffère beaucoup lorsque nous venons à les relire. L’âge, les circonstances changées, font voir sous un jour bien différent ce que la vivacité de notre imagination nous avait peint sous des couleurs trop brillantes ou trop sombres. C’est en lisant l’Histoire de la Révolution par M. Thiers que ces années 1791, 12, 13 et 14 retracèrent à mon esprit une foule d’anecdotes, la plupart oubliées ou peu connues des historiens, qui d’ailleurs dédaignent de s’en occuper. Cet ouvrage me reportait aux jours de ma jeunesse et faisait passer devant moi cette galerie de mouvants tableaux où je revoyais des hommes que j’avais connus, ceux que j’avais pleurés, ceux qui m’avaient fait mourir de frayeur. À mesure que j’avançais dans cette lecture, je rattachais à chaque personnage un fait que je retrouvais dans mon journal. Tout ce qui a rapport à ce temps, où chaque circonstance était un événement dont les détails ajoutés aux faits sérieux seront un jour les chroniques de notre époque, est intéressant à connaître et mérite d’être recueilli. J’ai passé les plus belles années de ma vie au milieu des orages de la Révolution. En ma qualité de femme, je n’ai jamais manifesté d’opinion; mais j’ai toujours été du parti des opprimés, et je me suis souvent exposée pour les servir. J’ai eu de bonne heure un esprit assez observateur. Ma jeunesse, la gaîté de mon caractère me présentèrent le côté comique des choses. Je me moquais également de l’exagération des royalistes et de celle des républicains, qui se croyaient des Spartiates et des Romains. Il faut convenir que j’étais bien placée pour cela entre mon père et mon mari. Celui qui a dit que «les femmes adoptent toujours l’opinion de ceux qu’elles aiment» s’est étrangement trompé. J’étais opposée à l’un comme à l’autre. Ils se sont compromis tous deux. Je les voyais courir à l’échafaud par un chemin opposé qui devait les réunir, et ils auraient infailliblement péri sans le 9 thermidor