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La nouvelle Cythère

9781465685810
213 pages
Library of Alexandria
Overview
C’est à Bougainville que Tahiti doit le surnom galant de Nouvelle Cythère, une épithète tout à fait dans le goût mythologique et licencieux du dix-huitième siècle. Depuis, la légende s’est encore embellie et poétisée, grâce à Pierre Loti. Il est vrai que l’on conserve dans la flotte le souvenir d’un Viaud très chaste, solitaire et rangé, réservé dans ses discours comme dans ses actions, et créant la Rarahu de son roman du chaos des conversations très libres du carré des officiers. Qu’importe ! Il n’est pas un échappé de l’École navale qui ne rêve de faire ce voyage que j’ai entrepris, pour ma part, sous le masque d’un sceptique, d’un Parisien quelque peu revenu des engouements de la vingtième année et légèrement enclin à prendre le contrepied des jolis contes de Pierre Loti. Le plus court chemin de Paris à Tahiti est celui qui traverse l’Atlantique du Havre à New-York, l’Amérique de New-York à San-Francisco, et l’océan Pacifique de San-Francisco à Papeete. Le Saint-Laurent, qui m’a pris au Havre le 5 juin, a eu des aventures. La mer n’a pas toujours été très bonne et la maladresse d’un pilote nous a jetés sur un banc de sable, à l’entrée de la baie d’Hudson. Par ce temps de navigation rapide, on ne s’émeut guère, sur le boulevard, quand on apprend le départ ou l’arrivée d’un transatlantique. Et pourtant ces huit ou dix jours vécus entre le ciel et l’eau, dans ces hôtels flottants, sont féconds en événements et en impressions. Il y a les passagers, d’abord. La société est variée et un choix difficile à faire. Un général américain, un peu condottière, coudoie un aventurier allemand escorté d’une baronne suspecte. Une chanteuse légère, espagnole ou mexicaine, teinte en roux, s’affale près d’une blonde véritable, la charmante femme d’un fonctionnaire colonial français. Quelques négociants et commis-voyageurs, exportateurs de vins français et d’esprit de table d’hôte, honnêtes gens et bien doués, se montrent chauvins comme il convient. Un fils de famille grisonnant et mûr, réduit à la portion congrue par le jeu et les belles, croise sur le pont un autre échappé du boulevard qui voyage pour oublier des chagrins d’amour et de théâtre. Un abbé italien, un monsignor, curieux et indiscret comme une femme de chambre, converse et controverse avec un moine américain, en redingote longue et en chapeau de cuir bouilli. Un docteur en renom, à qui l’été fait des loisirs, pérégrine avec sa femme, une Russe très jolie et très française. A signaler encore une Américaine un peu garçonnière qui fait des cavaliers seuls, tire au mur, et s’adonne au champagne, à la théosophie et aux sciences occultes. Voilà pour les premières. L’avant est encombré d’émigrants, alsaciens ou italiens pour la plupart, ces derniers plus malpropres encore que mal vêtus. Ceux-ci font danser ceux-là aux sons nasillards d’un accordéon, et, du matin au soir, du même mouvement lourd et rythmé, les filles d’Alsace tournent, tournent. Allez, pauvres gens, vers cette terre lointaine où peut-être votre misère ne fera que changer de patrie !