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Sac au dos à travers l'Espagne

9781465682208
213 pages
Library of Alexandria
Overview
« Je ne connais, disait J.-J. Rousseau, qu’une manière de voyager meilleure que celle de voyager à cheval : voyager à pied. » Je partage l’avis de Jean-Jacques, à condition toutefois que l’étape ne soit pas trop longue, ni le sac trop lourd. Le plus mince bagage semble augmenter de poids en raison des heures de marche. Je m’en suis vite aperçu, et d’étape en étape j’ai diminué le mien, si bien qu’il était à peu près réduit à zéro quand j’atteignis Malaga. C’est par là que j’aurais dû commencer. Dès Irun, j’entrai en campagne, et secouant l’engourdissement d’une nuit en wagon, je frappai le sol d’un pied léger. Certes, si la meilleure manière de voyager est celle citée plus haut, la dernière et la plus abominable est bien le chemin de fer pour les gens pas pressés. Parcourir un pays en wagon, c’est se condamner à ne rien voir, et cependant combien ne parcourent l’étranger que de cette façon et à leur retour racontent leurs impressions et écrivent un livre sur les mœurs et coutumes d’un pays entrevu à travers un nuage de fumée par une portière de voiture roulant à la vitesse de 60 kilomètres à l’heure. Dès Irun, on sent l’Espagne. De coquets petits gendarmes, coiffés de minuscules bicornes que borde économiquement une tresse de laine blanche, et épaulettés de macarons blancs, vous en font tout de suite apercevoir. Ils n’ont ni le prestige ni la majesté des nôtres et ressemblent un peu, moins le brillant, aux gardes françaises d’opéra-comique. Misère et vanité, l’Espagne entière ; ils portent tous faux col et manchettes amidonnés. La gare d’Irun en est remplie, comme du reste toutes les stations d’Espagne ; deux ou trois brigades montent dans chaque train pour le protéger. Le temps est loin, chez nous, où l’on attaquait les diligences ; ici, ce n’est pas seulement les diligences que l’on attaque encore, mais les trains de voyageurs. C’est un des rares reflets de couleur locale qui restent à l’Espagne, et je serais désolé qu’il disparût. Les gendarmes, assure-t-on d’ailleurs, sont là pour la forme. En cas d’offensive, ils se hâtent de décharger leur fusil en l’air et de crier aux assaillants : « Attachez-nous pour qu’il soit constaté que nous n’avons pu nous défendre. » Aussi, dans ces attaques de train, jamais ne vit-on gendarme blessé. Après et même avant ce singulier gendarme, un autre trait caractéristique fait sentir l’Espagne, et celui-là des plus piquants. J’en fus poursuivi d’Irun à Grenade, de Malaga à Séville, de Cadix à Algéciras, et il ne cessa de m’empoisonner que devant les uniformes rouges des factionnaires de Gibraltar.