Title Thumbnail

Sido: suivi de Les vrilles de la vigne

9781465680358
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Et pourquoi cesserais-je d'être de mon village? Il n’y faut pas compter. Te voilà bien fière, mon pauvre Minet-Chéri, parce que tu habites Paris depuis ton mariage. Je ne peux pas m’empêcher de rire en constatant combien tous les Parisiens sont fiers d’habiter Paris, les vrais parce qu’ils assimilent cela à un titre nobiliaire, les faux parce qu’ils s’imaginent avoir monté en grade. A ce compte-là, je pourrais me vanter que ma mère est née boulevard Bonne-Nouvelle! Toi, te voilà comme le pou sur ses pieds de derrière parce que tu as épousé un Parisien. Et quand je dis un Parisien... Les vrais Parisiens d’origine ont moins de caractère dans la physionomie. On dirait que Paris les efface! Elle s’interrompait, levait le rideau de tulle qui voilait la fenêtre:—Ah! voici Mlle Thévenin qui promène en triomphe, dans toutes les rues, sa cousine de Paris. Elle n’a pas besoin de le dire, que cette dame Quériot vient de Paris: beaucoup de seins, les pieds petits, et des chevilles trop fragiles pour le poids du corps; deux ou trois chaînes de cou, les cheveux très bien coiffés... Il ne m’en faut pas tant pour savoir que cette dame Quériot est caissière dans un grand café. Une caissière parisienne ne pare que sa tête et son buste, le reste ne voit guère le jour. En outre, elle ne marche pas assez et engraisse de l’estomac. Tu verras beaucoup, à Paris, ce modèle de femme-tronc. Ainsi parlait ma mère, quand j’étais moi-même, autrefois, une très jeune femme. Mais elle avait commencé, bien avant mon mariage, de donner le pas à la province sur Paris. Mon enfance avait retenu des sentences, excommunicatoires le plus souvent, qu’elle lançait avec une force d’accent singulière. Où prenait-elle leur autorité, leur suc, elle qui ne quittait pas, trois fois l’an, son département? D’où lui venait le don de définir, de pénétrer, et cette forme décrétale de l’observation? Ne l’eussé-je pas tenu d’elle, qu’elle m’eût donné, je crois, l’amour de la province, si par province on n’entend pas seulement un lieu, une région éloignés de la capitale, mais un esprit de caste, une pureté obligatoire des mœurs, l’orgueil d’habiter une demeure ancienne, honorée, close de partout, mais que l’on peut ouvrir à tout moment sur ses greniers aérés, son fenil empli, ses maîtres façonnés à l’usage et à la dignité de leur maison.