Voyage en Espagne du Chevalier Saint-Gervais (Complete)
9781465679628
213 pages
Library of Alexandria
Overview
De plus, les motifs des voyageurs dans leurs courses sont bien loin d’être les mêmes: les uns voyagent pour compulser de vieux manuscrits, visiter des bibliothèques; d’autres vont admirer des tableaux, des statues, d’anciens monumens, s’extasient à l’aspect d’un vase antique, d’une colonne debout, d’un chapiteau brisé; celui-ci étudie la géologie, la statistique, le commerce d’un pays; le peintre, l’amateur cherchent des sites pittoresques et romantiques; d’autres, enfin, courent la poste pour voir des villes, des rues, des édifices, avoir de bonnes fortunes et changer de place: heureusement ces derniers n’écrivent pas. Les philosophes, les sages de la Grèce allèrent jadis en Égypte, dans les Indes, pour observer les mœurs, les usages, enlever les fruits de la science, et les importer dans leur patrie, comme depuis on a importé les cerises, les vers à soie et les oranges. Des lecteurs sceptiques ou moroses, peut-être même des femmes d’esprit, trouveront, à ce voyage, une couleur romanesque, iront jusqu’à douter de l’existence du chevalier de Saint-Gervais. Eh quoi! des savans, des Saints même, ont cru à celle du Phénix, à sa résurrection, à sa longévité de cinq cents ans; et vous, Mesdames, dont la sensibilité exquise, l’imagination active, féconde, ardente, changent le sentiment en conviction, les illusions en réalités, vous ne pourriez croire que ce preux chevalier, qui n’est pas un Phénix, ait existé comme Achille, Hector, comme feu Nicomède! Il est si doux de croire, l’ame se repose si mollement sur l’oreiller de la confiance, que je ne puis pardonner à Bayle et à Montaigne leur fatigant scepticisme: cependant, comme l’a dit le pape Benoît XIV: «Si Dieu souffre les incrédules, nous devons les supporter.» Il paraît que dans son voyage le chevalier de Saint-Gervais, militaire peu instruit, peu connaisseur dans les arts libéraux, s’est particulièrement attaché à peindre les mœurs, les superstitions, les coutumes des provinces ou royaumes qu’il a parcourus, et à recueillir les anecdotes qui développent le caractère, le génie, les habitudes et les préjugés de la nation espagnole. Peut-être on pourra l’accuser de trop de liberté dans ses opinions, dans ses critiques; mais il était protestant, et il était choqué des abus de la superstition, de tant de miracles des Madonnes d’Espagne, de qui l’on pourrait dire ce que disait le jésuite Berruyer des miracles de Dieu: A l’air aisé dont il les fesait, on voyait bien qu’ils coulaient de source; et ajouter comme ce bon père:Le mal allait toujours en croissant, à la honte du Seigneur Dieu. Saint Bernard, dans une lettre adressée aux chanoines de Lyon, leur dit: Toutes ces pratiques superstitieuses ne servent qu’à rendre la religion ridicule. Saint Paul a dit: La vérité n’a pas besoin de mensonges. Godeau, évêque de Vence, s’écrie qu’on doit lâcher les foudres de l’église contre ceux qui sont assez détestables pour inventer des miracles, établir de leur propre autorité des dévotions nouvelles.