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Au Sahara

9781465679604
213 pages
Library of Alexandria
Overview
C’était en septembre 1889, sur la terrasse de l’hôtel Européen, à Tanger. Devant la pureté d’une nuit de lune et la beauté de cette rade marocaine, où les navires mouillaient au large avec leurs feux immobiles, nous songions que ce magnifique spectacle était tout proche de Paris ; — et pourtant combien peu de Français ont la curiosité de passer la mer pour venir jeter par la porte de Tanger un coup d’œil sur l’Orient. Mon compagnon de causerie était un des Français de cette génération qui sont le plus au courant de la langue et des mœurs religieuses du peuple arabe. Son savoir précis me donnait une grande curiosité de l’interroger. Il me répondit : — Venez voir ces gens et ce pays-là de vos yeux. L’exemple décidera peut-être à se mettre en route des gens du monde qui ont du loisir, de l’entraînement physique, le goût des longues chevauchées. Tout à l’heure dans les boutiques marocaines, vous avez dû parler espagnol ou anglais pour vous faire servir. Cela durera tant que nous laisserons aux étrangers le monopole du voyage pour lequel nous sommes si heureusement doués. … L’hiver passa sur cette causerie. Le printemps venu, j’allai me reposer au fond des bois de Meudon, dans un hameau en clairière qui domine Ville-d’Avray et d’où l’on voit le soleil se coucher derrière des plans d’arbres, sur la silhouette dentelée, lointaine du Mont-Valérien. C’est dans ce paysage modéré, dans ce calme de vie, que vint me relancer vers la mi-juin une lettre tentatrice. Elle arrivait d’Algérie. Elle disait : « Dans les premiers jours de juillet, je pars d’Aïn-Sefra, — cherchez la dernière station du chemin de fer stratégique qui protège notre frontière oranaise du côté du Maroc. — Je remonterai à cheval jusqu’à Géryville, en traversant tous les ksour, c’est-à-dire les villages berbères, égrenés dans des oasis, le long des hauts plateaux. A Géryville j’abandonnerai le cheval pour le méhari, le chameau coureur, et je descendrai vers le Sahara, de façon à rejoindre Metlili, Ghardaïa, Ouargla. Je rentrerai dans la province de Constantine par Touggourt, l’oued Rirh, Biskra, où l’on retrouve des chemins de fer, des hôtels, de la glace, enfin la vie civilisée. Voyez si le cœur vous en dit. » Je laissai tomber ce billet et je regardai par la fenêtre. Dans le grand vitrage de l’atelier s’encadrait un site d’une singulière douceur — le charme humain de l’Ile-de-France. Il y avait tout justement ce jour-là le degré de soleil qu’il faut pour que les plans s’enfoncent et se détachent. Des jeunes femmes en toilettes claires passaient devant ma porte, allant vers les bois. Je suivais de l’œil la tache mouvante de leurs ombrelles et je me disais : — Non, mon ami, vos cailloux, votre sable, votre canicule saharienne ne me tentent point. L’air qu’on respire ici est trop caressant pour qu’on le quitte. Partez seul. … Et pourtant dix jours plus tard, le paquebot me débarquait à Alger avec les bagages de Tartarin : un casque, un parasol, un lit de camp, une carabine et deux cantines militaires.