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Les Roses d'Ispahan: La Perse en automobile à travers la Russie et le Caucase

9781465679543
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Bucarest, mardi 11 avril.—Après avoir parlé pendant trois mois de ce voyage en Perse, il faut se décider à se mettre en route. Voilà deux jours et deux nuits que je roule dans des express marchant vers l’Orient; j’ai traversé Munich, Vienne, Buda-Pesth. Maintenant c’est le départ pour Ispahan, et nous sommes réunis vers neuf heures du matin à l’hôtel du Boulevard à Bucarest. Nos accoutrements sont pittoresques: cache-poussière, manteaux de pluie, fourrures, casquettes diverses, gants fourrés, bottes, leggins, bandes de laine; il est visible que nous ne partons pas pour la journée seulement. Des parents, des amis nous entourent. Au dehors des automobiles pétaradent dans l’air froid. Ces voitures appartiennent à des membres de l’Automobile-Club roumain qui vont nous emmener jusqu’à Giurgevo sur le Danube où nous nous embarquerons à bord d’un vapeur autrichien, car ce voyage en automobile commence en bateau. Nous retrouverons les machines à Galatz pour la traversée de la Bessarabie. Le ciel est clair, le baromètre bon. Le beau temps nous est nécessaire demain et après-demain, car les routes bessarabiennes ne sont que des pistes à travers les terres molles. Les trois automobiles prennent le train à Bucarest pour aller nous attendre à Galatz. Embrassades, serrements de mains, premiers déclics des appareils de photographie, nous disons adieu à Bucarest. Quand reverrons-nous cette ville, riches de quelles expériences, épuisés de quelles fatigues? De Bucarest à Giurgevo, il y a une soixantaine de kilomètres de très bonne route roumaine, ce qui équivaut à une médiocre route française. Le pays est plat avec quelques rangées de collines peu élevées. Je cherche le Danube à l’horizon, je ne le vois pas. A Giurgevo, déjeuner fort gai; des musiciens de l’endroit quittent leurs boutiques de cordonnier ou de tailleur, mettent une redingote, et nous déjeunons en musique, puis valsons dans la grande salle du cercle. Danserons-nous à Téhéran? Partons d’abord pour le Danube qui est à quelques kilomètres de la ville. Le voici enfin, roulant des eaux jaunies par les pluies du printemps; en face de nous, très loin, c’est la rive bulgare aussi déserte que la roumaine. A l’embarcadère des bateaux, nous trouvons nos bagages arrivés par le train. Chacun de nous se précipite pour voir s’il a son compte de colis, valises, malles, châles, etc. J’admire les voyageurs qui, partant pour des pays lointains et des contrées désertes, ne nous parlent jamais de leurs bagages. Il semble qu’ils soient des êtres immatériels, corps célestes ou purs esprits, insensibles au froid, à la pluie, à la soif, au manque de nourriture. Nous ne sommes pas ces voyageurs. Il nous faut du linge, des vêtements de rechange, et la «réparation de dessous le nez». Le souci de transporter avec soi tout le nécessaire est le souci le plus quotidien du voyage, quand on prend les modes de locomotion que nous avons choisis. Chaque jour, il faut défaire et refaire ses valises, déplier et replier les châles, alors qu’on est abîmé de fatigue. Je supplie le lecteur de compatir à nos peines et d’abord de faire connaissance avec nos bagages.