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Chasseurs de nomades

9781465677488
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Bonsoir, Fabre-Souville. C’est Wassermann, un petit sous-officier antipathique, qui m’arrête ainsi ce soir, sur la route d’Eckmuhl, dans les faubourgs d’Oran. — Bonsoir… Je reste sur la défensive. Si Wassermann se montre aimable, c’est parce qu’il a quelque nouveauté désagréable à m’apprendre. — Vous savez que vous partez demain… — Demain ? — On ne vous a pas prévenu ? — Prévenu ?… — J’ai envoyé un planton à Eckmuhl. Il a dû vous laisser des ordres. — Quels ordres ? — Vous partez demain matin, 5 juin, pour Alger. Vous rejoignez le bataillon destiné au Sud-Tunisien. — Depuis quand ? — Je ne sais pas. La feuille de route que j’ai établie et que l’on vous remettra spécifie que vous prenez le premier train du matin. Je regarde Wassermann. Il y a encore assez de lumières dans cette rue, les trois becs du café d’en face, la lampe d’un épicier maltais, pour que je puisse voir le pâle visage de ce garçon qui m’observe avec une curiosité agressive. L’habitude de ne pas laisser paraître d’émotions vraies — ce n’est qu’une habitude à prendre… Et les lèvres et les yeux durcis, je réponds, la voix posée : — Très bien. Je m’en doutais. Je n’ajoute rien d’autre. Wassermann, avant de s’éloigner, reprend : — N’oubliez pas : demain matin. Le train est à neuf heures. Autour de moi, une nuit subite. Je marche. Je crois que j’ai oublié de répondre aux politesses ironiques de Wassermann… — Bon voyage, crie encore de loin le petit sous-officier. — Je fais toujours bon voyage. Merci… Mais je suis pressé. Je dois rentrer au quartier d’Eckmuhl, dans ce grand parc d’artillerie où je suis provisoirement cantonné. Deux contre-appels ont été annoncés, le premier pour onze heures du soir, le second pour deux heures du matin. Fribourg, le maréchal des logis, m’a prévenu : — Tu sors et tu n’as pas de permission régulière. Pour l’appel, ça va. Je le ferai. — Je rentrerai quand il le faudra, dis-je. — Avant dix heures et demie ? — Bien entendu. — Tu ressortiras après, si tu veux… — Merci. J’y pensais… Je suis allé à Oran, mais je n’ai pas trouvé Mercédès. Sa logeuse espagnole, dans la petite ruelle montante où elle habite, près de la mosquée du Pacha, m’a rassuré dans un sabir guttural : — On est vénou la prendre pour le cinéma. — Quel cinéma ? — Oune grandé cinéma. J’ai rôdé dans cette ville de montagnes russes, à travers les nouveaux quartiers, non loin de la promenade de Létang, où l’on bâtit en hâte des banques, des salles de spectacles, des hôpitaux, des écoles et des hôtels-métropoles. Peine perdue. Mercédès se soucie bien d’un rendez-vous ! Bon, je reviendrai l’attendre à onze heures et demie, lorsque la foule encombre le boulevard Seguin…Ou bien, j’irai chez elle… Ou bien je n’irai pas… Et déjà je me promettais de ne pas essayer de revoir Mercédès puisqu’elle oubliait nos rendez-vous… On a quelque amour-propre, certes… Je pensais à toutes ces résolutions en revenant sur la route d’Eckmuhl lorsque je rencontrai Wassermann… Impossible de descendre à Oran, désormais. Je dois partir demain et boucler mon sac cette nuit même.