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Deux années en Ukraine (1917-1919)

9781465675170
213 pages
Library of Alexandria
Overview
C’est le 6 janvier 1917 que je débarquai, pour la première fois, à Kiev. En toute autre circonstance, j’aurais admiré la capitale de l’Ukraine, avec ses rues larges et droites, ses hautes maisons aux toits rouges et verts, ses multiples églises aux dômes dorés, sa cathédrale Saint-André qui s’embrase sous les baisers du soleil, sa double croix de Saint-Vladimir qui s’illumine le soir, son vieux quartier qui s’étage en gradins, son fleuve majestueux qui roule, à la belle saison, ses eaux jaunes et profondes sur lesquelles se jouent, mouettes vivantes, une multitude de voiles blanches. Mais, parti précipitamment de Bucarest, avec ma famille, cinquante jours auparavant, quelques heures à peine avant l’occupation de la capitale roumaine par les troupes austro-allemandes, je venais d’accomplir un voyage, véritable odyssée, qui avait absorbé le plus clair de mes économies et j’arrivais dans une ville dont j’ignorais tout, surtout la langue et où je ne connaissais âme qui vive. Je n’avais guère l’esprit ouvert à l’admiration. De Kiev, je ne vis donc tout d’abord qu’une gare, petite et sale, encombrée de soldats endormis sur le sol et de désœuvrés grignotant les graines de tournesol dont les Ukrainiens sont si friands, des cochers enveloppés dans de vastes manteaux ouatés, chaussés de grosses bottes de feutre et assis sur les planchettes de traîneaux minuscules et fort bas; des maisons, encore des maisons et toujours des maisons, dont aucune porte ne semblait vouloir s’ouvrir pour me donner l’hospitalité. Kiev avant la guerre, ne possédait que 600.000 habitants, mais depuis que Polonais, Lithuaniens, Serbes, Arméniens et Roumains, fuyant devant l’armée ennemie, étaient accourus en foule dans l’Ukraine hospitalière, la population kiévoise se chiffrait par plus d’un million et demi d’habitants. D’où superpopulation et crise de logements. Dans la rue depuis huit heures du matin, par un froid de 22° et sans avoir eu le temps de ne rien me mettre sous la dent, je trouvai enfin, à neuf heures du soir, obligeamment aidé par la Directrice du Foyer Français, un gîte pour moi et les miens, dans un hôtel tenu par une famille belge, au centre de la ville. Grâce à l’intervention de M. le Colonel P..., officier d’ordonnance du Général Berthelot, le Chef d’Etat-Major du Général Rousky m’avait accordé, à mon passage à la frontière roumano-russe, une recommandation très chaleureuse qui me permit, dès le lendemain de mon arrivée à Kiev, d’occuper, à l’Université féminine, la chaire d’histoire de la littérature française, vacante depuis le départ de M. Ch., mobilisé, et, au Gymnase Alexiev, celle de maître de langue française. Assuré du pain quotidien pour moi et les miens, je pus ouvrir les yeux sur ce qui m’entourait.