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Les Gueules Noires

9781465671905
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Dès le XVIIIe siècle, nos encyclopédistes surent préparer la force d’apostolat qui devait d’abord, par les armées de la Révolution et de l’Empire, ensuite, par l’action de leurs disciples parlementaires, imposer à l’Europe monarchiste de 1848, après treize siècles d’oppression féodale, la suprématie latine de la Loi sur les dynasties barbares. C’est encore chez nous, aujourd’hui, que la passion de la fraternité internationale puissamment développée, convertit l’État aux espoirs de paix définitive, et entreprend de soumettre les autocraties sanguinaires, même s’il faut pour cela quelque lutte suprême. Aussi nos écrivains, depuis vingt ans, s’ingénient-ils à découvrir les talents des élites voisines. Ils établissent des unions entre les mentalités des peuples. M. de Vogüé nous enseigna de la sorte plusieurs raisons d’admirer Tolstoï et Dostoïevski. Nous comprenons les idées graves, profondes et vivantes du Nord, qu’Ibsen incarna dans les personnages de ses tragédies. Meredith, Kipling, Wells, après Swinburne et Oscar Wilde, recueillirent les tributs légitimes de nos louanges. Les poèmes de Carducci, les drames si noblement méditerranéens que composa d’Annunzio, les pensées d’Ugo Ojetti, nous captivèrent. Et l’on alla prônant les créateurs qui s’évertuent par delà les mers septentrionales, les Alpes ou le Rhin. Cette affection très sincère de nos intelligences pour les chefs-d’œuvres étrangers, a malheureusement secondé, parfois, quelques jalousies d’écoles. Il fut une heure où cet amour fut exagérément affecté par les auteurs méconnus qui déniaient à leurs émules célèbres, les talents vantés par certains dilettantes ou par certaines foules. En outre le sentiment politique dicta des verdicts littéraires. A l’internationalisme enthousiaste, les Hauptmann, les Sudermann, les Matilde Serao, les Thomas Hardy, tant d’autres non moins secondaires durent leur renommée parisienne. Très-supérieur à ceux-ci, Maxime Gorki peut cependant remercier l’opinion de notre jeunesse, adversaire de l’autocratie russe. Il incarne le prestige du rebelle intelligent. Nous aimâmes tout de suite les observations du chemineau réaliste et libertaire. Ses façons de rude examinateur interrogeant la vie sans indulgence nous séduisirent; sa pitié malveillante pour la bêtise des humbles nous enchanta. Enfin nous honorâmes ses manières de Diogène incorruptible aboyant au fond d’un tonneau. Un étranger, qui décrit les mœurs de ses compatriotes fort éloignés de nous, a toutes chances de nous intéresser; même si elles étaient plates et vaines, ses peintures nous plairaient par l’imprévu de détails spéciaux à la race du conteur. Telle histoire de paysan ou de boutiquier, pour fade et banale qu’elle soit en elle-même, peut devenir singulière et poignante, grâce aux locutions curieuses traduites d’un patois de la Chersonèse, grâce au caractère soudain révélé d’individus très différents de nous-mêmes, et influencés par des dogmes, des traditions tout autres. Gorki bénéficia de cet avantage. Autant que Gogol, il nous introduit dans un monde d’âmes enfantines, passives, ébaubies, résignées à leurs instincts et à leurs maîtres, toujours asiatiques un peu. Cette nouveauté nous plut. Bientôt les louanges de Gorki retentirent. L’on répétait à l’envie que nous ne possédions pas un écrivain capable d’une pareille sincérité. On se trompait du moins jusqu’aujourd’hui.