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La Chauve-Souris

9781465665782
213 pages
Library of Alexandria
Overview
En un lieu joliment ou bellement dénommé Jolibeau, il y avait le jardin de la sœur de ma grand’mère, entre le jardin du vieil aumônier de l’Hospice et le jardin du vieux monsieur qui jouait de la flûte devant la volière de ses poules, dans le dessein bien arrêté de leur apprendre à secouer en mesure leur tête stupide, et même de leur enseigner la danse. Je ne sais s’il y était parvenu quand il mourut, ce qui ne date plus d’hier. Jolibeau et ses jardins constituent un faubourg déjà campagnard de ma ville natale, et qui la domine ; il la domine de quelques mètres, mais comme les collines adverses sont lointaines et que, jusqu’à elles, la plaine du Lot est absolument plate, cela suffit pour que le paysage, devant la maison où vivait ma tante, soit dominé par beaucoup de ciel. L’enfant s’intéresse de préférence à ceux des objets et à celles des âmes qui s’offrent à lui le plus libéralement et le plus généreusement. Aussi, à Jolibeau, mes cousins, mes camarades et moi, regardions-nous plus volontiers le ciel que les pelouses, les parterres et les bassins, — ceux-ci pleins, pourtant, d’une grouillante et passionnante vie. Le jour, il y avait souvent, vers la colline de Pujol, de jolis nuages où nous essayions de reconnaître des monstres et de retrouver des visages. D’autres fois, le ciel était vide, mais nous nous consolions en pensant que ce sont ces ciels purs, nus et dépourvus d’images que la nuit enrichit le mieux. Splendides nuits d’août et de septembre ! Vacances !… Nous avions découvert, je ne sais plus où, une Astronomie populaire, et bientôt les noms des astres nous furent doucement familiers : Véga de le Lyre était au zénith dès le commencement de l’ombre ; c’était à qui de nous apercevrait le premier la belle et bienveillante étoile bleue ; il est probable que nous avons triché quelquefois. Puis les jours passaient, le ciel « tournait », Véga glissait à mesure que raccourcissaient les jours ; et Capella bientôt apparaissait vers le nord, au ras de l’horizon ; celle-ci brillait d’un éclat jaunâtre et louche, sinistre présage de l’automne et de la rentrée au lycée. Les constellations que j’aimais le mieux étaient, bien entendu, celles que le ciel boréal ignore depuis quelques dizaines ou centaines de millénaires. La Croix du Sud étincelait dans mes rêves et dans mes rêveries. Ne comptant guère aller la contempler de si tôt aux lieux où sa splendeur pavoise la voûte nocturne, je ne désespérais pas, en revanche, d’un menu incident qui eût fait, une nuit ou l’autre, « tourner » le ciel suffisamment pour qu’elle parvint à charmer les yeux d’un petit garçon amoureux d’elle.