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Emile et les autres

9781465665539
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Mais je connais une charmante vieille dame qui, jusqu’à sa mort, a juré de porter, éternellement fixé à son poignet par un bracelet de cuir, le portrait sous médaillon d’un caniche qu’elle perdit il y a eu vingt ans aux pommes. J’en sais une autre, — celle-ci beaucoup plus jeune, ma foi ! — qui va chaque mois au moins orner de fleurs la tombe d’un bull dans le cimetière canin d’Asnières, où il dort son dernier sommeil…Tant pis pour moi si l’on m’en veut de protester contre de pareilles marques d’affection ! J’estime que, s’il faut aimer les bêtes, qui sont, en effet, infiniment aimables, il faut aussi que notre intérêt pour elles soit digne de nous et qu’il soit surtout — ce dont le prétendu ami des bêtes ne semble guère, à l’accoutumée, se douter — digne d’elles. Par exemple, il est entendu que, ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, c’est le chien. Soit ! Mais pourquoi ne pas transposer, quand il s’agit d’animaux domestiques ? Pourquoi ne pas dire : ce qu’il y a de plus mauvais dans le chien, c’est l’homme ? Le malheureux toutou, auquel nous devrions, par convenance pour nous et par amitié pour lui, concéder une valeur plus désintéressée, ne nous plaît en général que dans la mesure où il flatte notre orgueil, ou quelque autre de nos défauts. Ainsi, les caresses serviles qu’il octroie si volontiers aux bipèdes permettent aux plus misérables de ceux-ci de posséder un serviteur et un courtisan. Mais il y a pire : ces pauvres bêtes, façonnées depuis des millénaires par une hérédité d’esclavage, parodient les tares (ou les vertus, mais c’est moins fréquent !), les allures et jusqu’aux grimaces de ceux dont elles ont fait leurs dieux Lares. Elles reflètent fidèlement, avec une facilité déplorable, celles des manies, ceux des tics, ceux des instincts qui nous sont les plus coutumiers. Je commenterai plus loin l’histoire de deux chiens que j’ai connus dans mon enfance : le dogue du boucher du coin ressemblait, museau et caractère, à son patron. Pourquoi ? Parce que celui-ci cultivait sa férocité et son goût professionnel de l’odeur du sang, ceci sans le savoir, peut-être, mais un peu comme Dieu fit quand il nous créa à son image (flatteur pour lui !)… Cependant, la levrette de la gentille modiste d’en face sautillait tout le long du jour sur le trottoir avec une coquetterie un peu niaise et tellement jumelle de celle même que sa patronne pratiquait !