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Au Pays des Peaux-Rouges: Six ans aux Montagnes Rocheuses Monographies indiennes

9781465665102
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Le 20 septembre 1902, je prenais à Paris, gare Saint-Lazare, l’express de Cherbourg, où dès notre arrivée on nous transborda sur le «Saint-Louis», mouillé en rade. Le «Saint-Louis», est un bateau américain, frère du «Saint-Paul», assez bon marcheur, mais cependant quelque peu vieilli. Il était bondé de voyageurs, tous ou presque tous citoyens de la libre Amérique, retournant dans leur pays après avoir joui des plaisirs que leur offrent nos villes d’Europe, surtout Paris, qu’ils appellent la «Babylone moderne»,—«Babylone,» si vous voulez, MM. les Américains, mais trop souvent «Babylone» par vos-propres faits et gestes! J’ai à peine mis le pied sur le bateau, que je me trouve en pleine civilisation yankee. Ce qui me frappe tout d’abord à la salle à manger, c’est l’usage immodéré de l’eau glacée (ice-water): à table on ne sert aucune autre boisson, et si vous voulez un verre de bière ou de vin, vous êtes obligé de le faire venir directement de la buvette. Le menu me paraît plus abondant que choisi; je n’y trouve rien qui rappelle la cuisine française. A la fin du repas, bien entendu l’inévitable «cake» (gâteau), accompagné de l’inévitable «sorbet» (ice-cream). Encore la glace sous une autre forme! Décidément aux Américains, comme aux anciens Romains, Sénèque pourrait dire: «Cette neige au cœur de l’été, ne croyez-vous pas qu’elle donne des obstructions au foie?» (Lettre 95). Et ailleurs: «A vos estomacs débilités par tant de raffinements, bientôt la neige ne suffira plus; il vous faudra la glace.» Aussi les inconvénients de ces boissons trop froides se manifestent-ils un peu partout, et un Américain me disait un jour: «Notre maladie nationale, c’est la dyspepsie.» Une autre passion des Américains, c’est la passion des sucreries; ils ont toujours la bouche pleine d’une sorte de caramel, qu’ils appellent du «candy», qui leur gâte les dents dès leur enfance; ne vous étonnez donc point que l’Amérique soit le paradis des dentistes. Je n’eus pas le temps de faire de longues observations sur les mœurs de mes compagnons de voyage: car dès le second repas et bien longtemps avant la fin, je dus m’éloigner à la hâte, la serviette devant la bouche. Je fis le reste du voyage sur mon dos, en proie au malaise bien connu des passagers qui comme moi n’ont pas le pied marin. Je ne remontai sur le pont qu’au moment où nous allions entrer dans la baie de New-York; d’ailleurs, bien ou mal portant, je dus à Sandy-Hook me présenter comme tout le monde avec mes valises aux officiers de la douane. On visite ici les bagages de cabine; nous étions tous réunis dans la salle à manger de première classe, qui ressemble à une chapelle avec sa nef plus ou moins ogivale et son orgue monumental. Lorsque mon tour fut arrivé, je fus tout étonné d’entendre le préposé des douanes, après m’avoir demandé si je n’avais rien à déclarer, me dire: «Prêtez serment, take the oath». Il est curieux de voir comment aux Etats-Unis on use et abuse de cette formule; l’inconvénient très grave de cette coutume est d’enlever au serment tout son prestige, et je me souviens d’avoir lu quelque part dans un journal de New-York un article intitulé à tort ou à raison: «Pourquoi notre vice national est-il le parjure?»