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Les Sèvriennes

9781465664808
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Le vieil usage n’est-il pas qu’un auteur, avant d’abandonner son livre aux caprices du Destin, le voue à quelque Génie bienfaisant ? Faites-moi la grâce, Madame, d’accepter l’hommage de mon premier livre : vous êtes ce bon Génie, et c’est d’un cœur tout à vous, que je vous offre, en témoignage d’admiration et de gratitude, les pages qui vous ont plu. Vous m’êtes témoin, Madame, qu’en écrivant un livre sur l’École de Sèvres, je n’ai fait autre chose que grouper mes souvenirs de Sèvrienne, initiant ainsi le public, qui nous ignore, à une vie d’ardent et pénible labeur, à des émotions âpres ou puériles. Je l’ai fait sincèrement, même en ce qui touche quelques sujets délicats. Ce n’est point une œuvre pédagogique que j’entreprends, et ce n’est pas une satire de la très haute culture que reçoivent à Sèvres les privilégiées de nos lycées de jeunes filles. Je ne suis pas assez l’ennemie de moi-même, pour déchirer le sein qui m’a si copieusement nourrie. Mon dessein a été de peindre, par des tableaux successifs, et par le récit d’une courte aventure, un milieu très spécial, « select » et très fermé, par la difficulté grandissante du concours de Sèvres. Sèvres n’est pas un couvent, et n’est pas davantage une Université féminine. Ni nonnes, ni étudiantes, les Sèvriennes, au nombre de soixante, vivent là comme en un gynécée libéral, dont les portes s’ouvrent avec confiance, avec amour, devant la Poésie, l’Art, la Science. Il est facile, en feuilletant les cours des Littéraires et des Scientifiques, de se rendre compte de l’œuvre poursuivie par nos Maîtres. Sèvres est le cerveau de ce grand enfant barbare, imprudent, mais tenace, qu’est l’Enseignement secondaire des jeunes filles. Ce qu’il est plus difficile de juger, c’est le charme de cette vie solitaire et studieuse, c’est la transformation de ces êtres inachevés, dans l’aube déjà resplendissante de la pensée qui s’éveille, c’est ce moment extraordinaire, où soudain l’esprit atteint sa puberté, moment d’orgueil immense, où la jeune fille se croit assez forte pour marcher seule dans la vie. Alors, c’est une rupture complète avec le passé : elle entre à Sèvres ; d’où vient-elle ? peu importe, rien ne va subsister de ce qu’elle apporte en patrimoine. Elle est le sol déjà remué par la charrue, mais non ensemencé. Voilà le semeur qui passe, jetant aux sillons la graine, et sur le germe fécond, pieusement la Vierge referme les lèvres, mystiques gardiennes de la moisson. Le Sacerdoce commence. Pour donner corps à ma pensée, j’ai choisi un groupe de Sèvriennes très différentes par tempérament les unes des autres, n’ayant de commun entre elles, que le travail, les habitudes, le but à atteindre. Je n’ai point indiqué, ou très peu, ce qu’elles étaient avant d’entrer à Sèvres : l’histoire d’écolières pauvres, mais intelligentes, voulant trouver un gagne-pain dans l’Enseignement, leur est commune à toutes ; si elles doivent souffrir de la confusion des milieux, ce n’est qu’une fois professeurs ; alors je dirai leur triste roman, quand elles retombent sans famille, sans amis, dans la plus terrible réalité. Cette fois ce sera le roman du professeur-femme, dont cette étude sur les Sèvriennes n’est que la préface. Aux scènes de la vie intime de l’École, j’ai mêlé une intrigue romanesque, celle d’une Sèvrienne d’élite, âme très pure, mais inquiète, à la merci de la douleur, et qui, affranchie par la culture de ses Maîtres, ne recule pas devant l’extrême conséquence de ses principes.