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La Vedette

Yvette Guilbert

9781465664525
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Mademoiselle Edmée va vous chanter les « Coccinelles ! » Parmi le brouhaha des conversations, le grincement des chaises remuées, le cliquetis des verres sur le marbre des tables, cette annonce ne produisit qu’un silence relatif. Cependant, émergeant du nuage de fumée qui fanait les papillons des becs de gaz dont s’éclairait la salle, mademoiselle Edmée se hissait déjà sur la caisse d’emballage retournée, figurant la scène, et les premiers accords de la romance de Massenet vagissaient sur le clavier du piano étique accoté à l’estrade. Et ceci se passait, rue Julien-Lacroix, dans le sous-sol d’une boutique de marchand de vins, temple lyrique, ce dimanche soir comme tous les autres dimanches, de la société musicale « La Fauvette de Ménilmontant ». Ce sous-sol était une sorte de carré long, au plafond bas, où l’on accédait par un escalier en colimaçon, sans cesse encombré par les montées et les descentes du garçon qui, irrespectueux du grand art, ne se gênait point pour couper les meilleurs effets des monologues, et les plus brillants traits des chansons, par des retentissants « une grenadine au kirsch ! ça fait deux ! » ou « un litre de blanc ! ça fait trois, » lesquels suivis immanquablement des « chut ! » et des « à la porte ! », vociférés par les auditeurs mélomanes, déchaînaient un charivari plutôt impropre à la parfaite exécution des chefs-d’œuvre… Mais, n’est-ce pas ? tout le monde ne peut pas louer la salle de l’Opéra, et les virtuoses de la Fauvette de Ménilmontant, heureux de faire apprécier leurs belles voix, n’y regardaient pas de si près. Qu’est-ce que ça faisait, pourvu qu’on chante ! C’étaient pour la plupart des petits employés, des ouvriers, des commis de magasins ; quelques jeunes filles aussi, qui domptaient leurs timidités et jetaient éperdument à la figure du public tous les chats qu’elles nichaient dans la gorge. Les familles de ces demoiselles et les copains de ces messieurs venaient assister à leurs triomphes, en sirotant des demi-setiers, des canettes et des liqueurs à l’eau, laissant après leur absorption des petits ronds poisseux sur les guéridons de fer, jamais nettoyés — ou si peu !… Mais ce soir, peste ! c’était bien une autre paire de manches que les soirs ordinaires… Des pancartes, suspendues aux colonnes, proclamaient que le prix des consommations serait, par exception, majoré de dix centimes et qu’une quête serait faite à la fin du concert. C’était au bénéfice d’une infortune que la Fauvette, aujourd’hui, donnait de tout son gosier ! Même, outre les sociétaires habituels, des artistes des principaux music-halls de Paris avaient consenti à prêter leur concours ! On entendrait, dans leur répertoire, l’incomparable comique Lourbillon et la délicieuse Blanche Mésange, des Ambassadeurs ! Et ce programme n’était pas un leurre ! Ces deux illustrations n’avaient pas fait faux bond. Chacun pouvait les voir, en chair et en os, Blanche Mésange surtout en chair et Lourbillon plutôt en os, assis, non loin du piano, à un petit guéridon, et buvant chacun un bock, comme de simples mortels !