L'Architecture Gothique
Édouard Corroyer
9781465656131
201 pages
Library of Alexandria
Overview
La dénomination gothique, désignant la période architectonique qui s’étend du milieu du XIIᵉ siècle à la fin du XVᵉ, est purement conventionnelle. Cette expression ne peut s’appliquer à l’architecture des Goths ou des Visigoths, puisque ces peuples, vaincus par Clovis au VIᵉ siècle, ne laissèrent aucune trace monumentale de leur passage sur notre sol et, par conséquent, n’eurent aucune influence sur l’art. Elle est radicalement fausse au double point de vue de l’histoire et de l’archéologie, car elle ne repose que sur une erreur contre laquelle il faut protester en essayant de faire cesser une équivoque qui a duré trop longtemps. Singulière fortune de ce mot gothique, qui n’était au siècle dernier qu’un qualificatif ironique, synonyme de barbarie, et qui est devenu, malgré son origine germanique, le vocable adopté depuis soixante ans pour désigner l’époque la plus civilisée du moyen âge et précisément l’une de celles dont l’Art national peut être le plus légitimement fier. L’architecture romane, ou plus exactement l’architecture qualifiée romane, en vertu de la convention archéologique de 1825, a emprunté aux Romains et aux Byzantins des éléments constitutifs que les architectes du temps se sont assimilés et qu’ils ont perfectionnés dans l’Europe occidentale; mais la période architecturale du XIIᵉ siècle à la fin du XVᵉ, et qu’on a baptisée injustement du nom étranger de gothique, est absolument française, puisqu’elle est née dans les provinces qui ont formé la France moderne. C’est dans l’Aquitaine, l’Anjou, le Maine qu’elle a ses origines incontestables; c’est dans le domaine royal, et principalement dans l’Ile-de-France, qu’elle a accompli ses transformations les plus étonnantes, et c’est du cœur même de la France qu’elle a si brillamment rayonné sur l’Europe. Nous aurions voulu intituler ce volume: l’Architecture du moyen âge, si la tyrannie de l’usage ne nous obligeait à conserver la dénomination d’Architecture gothique. Cette dernière dénomination est d’ailleurs absolument arbitraire, tout autant que celle d’Architecture ogivale, acceptée par des auteurs qui admettent que l’arc-brisé, improprement appelé ogive, est le caractère particulier de l’architecture dite gothique. Il existe encore sur ce point une erreur à propos de laquelle il convient de s’expliquer, car on s’est mépris sur le mot en lui donnant une signification qu’il n’a jamais eue. L’ogive, ou plus exactement: l’augive, suivant l’orthographe ancienne, est l’arc diagonal ou l’arc ogif, employé dans l’architecture dite gothique; il est le plus souvent en plein-cintre et ne doit pas être confondu avec l’arc-brisé improprement nommé: ogive. L’arc-brisé, qui se compose de deux courbes opposées se coupant sur un angle plus ou moins aigu, était connu bien longtemps avant son application systématique: au Caire, dès le IXᵉ siècle de notre ère, auparavant en Arménie et, encore plus anciennement, en Perse où les constructeurs n’ont pas employé d’autres cintres depuis les derniers Sassanides. C’est un expédient, un moyen de donner plus de résistance à l’arc en diminuant ses poussées latérales; mais les architectes des XIIᵉ et XIIIᵉ siècles ne se sont pas servis de l’expression: ogive pour désigner la forme de l’arc-brisé, forme qui varie à l’infini, qui n’est plus déterminée par les proportions classiques, les canons pour ainsi dire, de l’arc plein cintre, et ne connaît pas d’autre loi que la nécessité. On voit en effet l’arc-brisé se rapprocher du plein cintre au XIIᵉ siècle, puis s’en éloigner, s’aiguiser de plus en plus à la fin du XIIIᵉ siècle et pendant tout leXIVᵉ, alors que les édifices prennent une élévation plus considérable par des dispositions d’une hardiesse inquiétante et souvent aux dépens d’une parfaite solidité.