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Elise

René Boylesve

9781465655981
188 pages
Library of Alexandria
Overview
D'un carnet de notes qui date d'une vingtaine d'années, j'extrais les quelques pages suivantes où je ne modifierai que les noms de personnes. « Granville, 17 août 189… » Je suis assis, à table d'hôte, en face d'un couple dont je redoute les avances. Pour avoir entendu l'homme et la femme échanger entre eux quelques mots, j'ai l'appréhension d'être amené à « faire connaissance ». Pourquoi cette crainte? Ces gens sont simplement ordinaires. La femme n'a guère plus de trente ans et n'est pas laide. L'homme a la quarantaine ; il est décoré ; il est quelconque ; il n'a pas l'air d'un sot. Mais quelle façon de parler à sa femme! Et ils s'entretiennent d'une « madame de Vamiraud », d'un « monsieur » et d'une « madame de La Hotte-Saint-Pair ». Seraient-ils les domestiques endimanchés ou les régisseurs de quelque hobereau? » Et pourquoi aussi me donné-je la peine, moi, de griffonner ces notes à leur propos? Je le sais bien! C'est parce que je les ai vus, tantôt, adresser un salut, très bref, à cette jeune femme à l'air triste et singulier, que j'ai tant regardée sur la terrasse du Casino. Ils la connaissent. Par eux je pourrais savoir qui elle est. Et cependant je me refuse à « faire connaissance ». » Ce n'est pas vilain du tout, cette plage de Granville. Elle s'arrondit en hémicycle. Trop de galets ; mais de beaux rochers ; et puis, là-haut, sur la gauche, la vieille ville bien perchée. Des remparts, et un bon clocher de granit qui a dû essuyer des tempêtes. Comme de juste, on a gâché la vue en construisant un Casino en planches, affreux, et qui a l'air d'une gare provisoire de chemin de fer départemental. Mais, pour que les hommes se plaisent en un endroit, il faut qu'ils y abîment quelque chose. » Si l'on a les chevilles solides, on peut faire une jolie promenade sur les rochers au pied des remparts de la vieille ville. Les baigneurs ne s'y hasardent guère ; on y touche la mer brutale et sa côte rugueuse ; on y perd de vue tout ouvrage rappelant une station d'été ; et les filles du port qu'on y surprend parfois, à leur bain, sans les troubler le moins du monde, nues comme Ève, ou se dévêtant dans une crique, me font, au soleil couchant, plutôt penser à des René Ménard ou à la simplicité des temps primitifs. » On m'a dit que, tout près d'ici, les îles Chausey, minuscule archipel de rocs arides ou couverts de goémons, vous laissent imaginer que vous êtes à mille lieues du monde habité. »