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Les nouvelles leçons d'amour dans un parc

René Boylesve

9781465655974
108 pages
Library of Alexandria
Overview
Vous souvient-il que cette petite était la fille unique du marquis Foulques de Chamarande et de Ninon, sa gracieuse et trop légère épouse, tous deux, en somme, d’assez bonnes gens, pareils à beaucoup, de qui la conduite était ordinaire, c’est à dire nullement édifiante, mais de qui le souci, exactement semblable à celui de tous les parents, était que leur enfant fût néanmoins fort bien élevée? Dirai-je, pour vous faire plaisir, qu’ils avaient atteint une fin si ambitieuse et que Jacquette avait été tenue à l’abri, par miracle, des exemples fâcheux que la vie offre en abondance aux créatures? Tant d’autres narrateurs, bien plus prisés que moi, se trouveront pour vous endormir avec ces sornettes! Pour moi, je n’accorde aucune foi à cela, et je vous déclare le résultat modeste d’une éducation due à une excellente gouvernante, propre nièce d’un évêque, nommée Mlle de Quinconas, et aux conseils d’un parrain très avisé, M. le baron de Chemillé. Mais, non moins crûment, je vous dirai que, si éloignée qu’elle fût de la perfection, notre Jacquette, qui était née avec un bon naturel, faisait une digne et aimable jeune fille, aussi étrangère que possible, comme vous allez vous en assurer aussitôt, à toute méchante inclination. Nous l’accompagnerons, si vous le voulez bien, avant son mariage, un beau matin de sa seizième année, dans une des allées du parc dont je ne crois pas avoir eu l’occasion de vous parler. C’en est une qui, partant de la terrasse, au pied du château, s’éloigne, par un biais, de l’allée qui conduit aux fontaines. Elle s’engage aussitôt sous bois, et aboutit, après douze cents pas environ, à un bassin où se reflète la figure moussue du dieu Pan. Celui-ci a le menton velu, le front cornu à peine, et sa lèvre épaisse se durcit pour laisser passer le souffle qui irrite infatigablement un des sept tuyaux de la flûte. Quand la jeune fille a atteint le banc de marbre très usé qui fait face à la divinité de la solitude et des bois, elle s’y assied, contemple le lieu et le dieu avec complaisance, car ils sont beaux ; elle entend siffler le merle qui, sous les ombrages, court comme un rat, ou bien chuchoter le vent dans les ramures touffues ; puis, avec une avidité qui laisse à penser qu’elle n’est venue ici ni pour le joueur de flûte, ni pour l’endroit enchanteur, elle entame une certaine lecture. C’est la lecture d’un petit livre qu’elle a tiré de son sac à main. L’ouvrage à peine entr’ouvert, en vérité, l’on fait bien peu de cas et de Pan et du bassin, et du merle, et du parc matinal. Tout a fui. Que demeure-t-il? Quelques feuillets de hollande où s’étale une pensée rythmée, et l’âme d’un être charmé qui s’enivre, — on le jurerait, — de poésie. En effet, par la complicité du vieux baron de Chemillé, son parrain, esprit qui juge toutes choses au rebours du commun, Jacquette a appris à lire la pensée harmonieusement exprimée. Toutefois, la vérité oblige à reconnaître que ce n’est point du bonhomme Chemillé que Jacquette a reçu le goût exclusif, en fait de poésie, pour l’œuvre, figurez-vous, d’un poète nommé Alcindor.