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Pelléastres

9781465652775
108 pages
Library of Alexandria
Overview
A mesure que les années s'ajoutent aux années, les belles illusions s'éparpillent au vent du siècle, comme les pétales d'une fleur flétrie s'envolant dans la brise d'automne. Et la jeunesse est bien une fleur, une fleur unique qui se fane d'heure en heure… Oh! les allégresses et les enthousiasmes de l'adolescence! Tout est splendeur, charme, bonheur pour les yeux qui s'ouvrent sur l'extériorité mensongère de la vie. On pleure devant les couchants, on poétise la misère des gueux, on veut mourir d'amour avant d'avoir souffert de vivre, on se campe devant la Fortune ou devant la Gloire pour leur crier: «A nous deux!» Toutes les nuances, tous les sentiments, tous les gestes de l'élégance ou du labeur ravissent par la nouveauté qu'on leur découvre. On fait joujou avec la douleur qui apparaît surtout comme un prétexte à attitudes; on fait joujou avec la douleur que l'on dompte de toute la puissance des forces neuves—s'élançant vers la Vie.—Vers la Mort. Tout passe… A force de voir souffrir, à force d'aller aux nécropoles derrière le char où dort, sous de vaines couronnes, l'être cher qui vient d'expirer, à force de constater le leurre des façades qui abusait notre jeunesse ardente, nous parvenons à apprécier plus justement l'existence. La détresse humaine se dévoile de plus en plus. Tout passe. Illusions, amitiés, espérances… Tout meurt. Et ces trépas sont peut-être la traduction mentale de la désagrégation incessante de notre organisme. Car depuis notre naissance nous mourons un peu à chaque instant. Obéissant aux lois de la nature comme les animaux, les fleurs et les pierres, nous voulons inutilement l'oublier. L'homme ne disserte guère sur le Vanitas vanitatum et omnia vanitas de l'Ecclésiaste, que toutes les fois qu'un malheur lui arrache l'insouciance qui l'aidait à vivre, toutes les fois qu'il mesure le vide et l'inutilité de nos efforts égoïstes. Alors, parfois, une ambition plus noble que toutes les autres le métamorphose: celle de se survivre. Mais tout le monde ne peut pas annihiler partiellement ainsi l'œuvre de la Mort. Les artistes, les écrivains d'élite sont parmi les demi-dieux à qui cela est possible. Et Jean Lorrain, entre tous, se survit et se survivra. Voici son quatrième livre posthume. Jamais il n'a paru plus vivant, ce tendre barbare, que depuis qu'il nous a quittés. Il laisse dans notre littérature une place vide qui restera vide longtemps. On se rendra compte par ces Pelléastres—tout ce qu'il eut le temps d'écrire du Poison de la Littérature—que jamais la verve de l'auteur de Maison pour Dames ne fut plus étincelante et plus terriblement révélatrice du dégoût profond en lequel Jean Lorrain tenait Paris et la foule très vaguement définie qu'on appelle le monde. Il a suffisamment souffert de tout cela, ce fils des conquérants qui essuyèrent sur les marches d'un trône, leurs pieds souillés des boues de la Neustrie conquise, il a suffisamment souffert de tout cela pour qu'on lui pardonne quelques outrances et même quelques injustices. Déjà, bien des gens, qui dansèrent autour de son cercueil pour marquer leur joie de ne plus entendre son impitoyable rire, déjà, bien des consciences épouvantées par la franchise courageuse—il en a pâti—d'un des rares écrivains qui surent conserver leur indépendance complète dans notre journalisme d'affaires (qui, par ailleurs, suit servilement l'opinion, sous prétexte de la diriger)—déjà, bien des consciences se rassuraient. Or, voici que par quatre fois, depuis sa disparition, sa terrible raillerie éclate, mieux armée et plus féroce que jamais! Quelles paniques va déchaîner bientôt la publication de la Correspondance—choisie—de Jean Lorrain! Jean Lorrain n'est pas de ceux qu'on oublie.