Lettres d'une amoureuse
9781465651976
313 pages
Library of Alexandria
Overview
J'entends le bruit de tes pas… et cependant je voudrais que tu n'entres jamais : t'attendre est une volupté si enivrante! Il me semble alors me sentir soulevée de terre par une force invisible ; mon âme s'élance hors de moi et va à ta rencontre… Puis, comme un événement inattendu qui me fait tressaillir, la porte s'ouvre, tu parais, je te vois, tu t'approches et tes lèvres froides d'émotion s'appuient sur les miennes… O mon amour, on me dit que tu ne m'aimeras pas longtemps, et je le sais : je le sais ; j'ai passé mon midi, et, toi, tu te lèves dans la vie, rayonnant comme la jeunesse… Mais tu m'auras aimée… J'aurai été serrée dans tes bras, et tes mains, tes belles mains, si fortes et si douces, se seront attachées éperdument aux miennes… J'écris ces lettres pour que tu les lises lorsque tu ne m'aimeras plus : peut-être feront-elles courir en toi un léger frémissement de volupté ; peut-être ton visage se revêtira-t-il de cette tristesse qui précède le désir… Tu te souviendras… Lorsque je ne serai plus qu'une pauvre cendre dispersée, je veux que tu te souviennes! Cela et rien de plus! que tu revoies les lieux où nous nous sommes aimés, que tu sentes encore l'odeur de la terre matinale qui montait vers nous des jardins, quand, serrés l'un contre l'autre, nous allions saluer le jour nouveau. Hier, en ouvrant les yeux, j'ai vu derrière les vitres le brouillard, si doux, si triste ; il semblait nous envelopper, toi et moi, et nous cacher à tous… Je me suis levée, j'ai regardé à la fenêtre qui donne sur la plaine, ensuite à celle qui domine les collines… Tout était clos : la vapeur blanche, impalpable, dérobait tout à mes yeux. Oh! que j'ai aimé ce silence, cette prison légère! Il m'a semblé que nous vivions parmi les nuages, ces nuages mystérieux qui roulent sur le ciel bleu… Je suis retournée près de toi et me suis blottie sur ton cœur… Tout se taisait ; seule la flamme du foyer s'élançait de temps en temps, vive et subite comme des cris de volupté. Tu m'as regardée sans même me donner un baiser ; et cependant j'ai senti mon cœur fondre d'amour ; la langueur éternelle des désirs assouvis remplissait mon être! Qu'il aurait fait bon mourir là, côte à côte. Plus tard je suis allée au bord de l'eau ; j'aime, tu le sais, toutes les choses qui sont dans le ciel et sur la terre, mais, au-dessus de toutes, j'aime l'eau. Le fleuve m'appelle, il m'attire invinciblement ; il me semble toujours qu'il fuit avec tant de regrets!… L'eau courait hâtivement, comme pressée par l'inexorable fatalité. Je marchais sur la berge verte, et, de l'autre côté, les ramures dépouillées des peupliers inégaux se profilaient sur le ciel clair, et semblaient former une vaste harpe, faite pour les doigts des anges. Entre les troncs d'arbres quelques brebis paissaient, se mouvant d'une allure lente et insensible, créatures de paix et d'amour.