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Expiation

9781465651495
211 pages
Library of Alexandria
Overview
Tout est terminé : le testament de mon père a été ouvert, les comptes sont réglés. Je viens de signer une procuration pour faire vendre la vieille maison, mon unique héritage paternel ; j’ai écrit en même temps à ma cousine Renée de Hauteville, la seule parente qui me reste en ce monde, pour lui dire que j’accepte l’hospitalité qu’elle a la bonté de m’offrir. En le faisant, j’ai cédé aux instances de madame de Faverges et aux raisons péremptoires du notaire. Je n’ai pas assez pour vivre. De la fortune de mon père il ne reste rien ; ses voyages scientifiques, sa passion de bibliophile l’ont absorbée. L’incurie de son administration a consommé sa ruine. Toutefois j’aurais préféré rester ici, y végéter au jour le jour et attendre que, remise du coup qui m’a frappée, je puisse songer à un avenir de travail. C’est demain que je pars. Probablement je ne reviendrai jamais dans cette demeure. Si inhospitalière, si triste qu’elle m’ait été, j’éprouve en la quittant une sorte de regret, et je revis par la pensée dans les années écoulées, tellement il est vrai que l’on s’attache aux lieux où l’on a le plus souffert ! Je me souviens, comme si c’était hier, du jour où j’y suis entrée pour la première fois. Ma marraine venait de mourir. Depuis la catastrophe qui avait brisé notre vie de famille en dispersant notre intérieur, depuis le jour fatal où ma mère avait disparu et où ma marraine m’avait emmenée comme une enfant maudite, je vivais auprès d’elle et n’avais pas revu mon père. En la perdant, j’avais perdu mon asile. Mon père m’écrivit alors de le rejoindre. J’arrivai à C... Aucune parole de bienvenue ne m’y accueillit, et dès cette heure il fut avec moi ce qu’il devait être jusqu’à celle de sa mort. Notre vie en commun commença. Dans les premiers temps j’avais espéré un rapprochement ; je lui demandai de me permettre de lui faire la lecture, de me laisser prendre des notes pour lui. Il refusa. Néanmoins je revins à la charge, mais un jour il me traita si rudement que je n’osai plus tenter le moindre effort. — Thérèse, me dit-il, cessez vos importunités, elles m’irritent inutilement. Vous ne pouvez m’aider en rien ; les femmes n’entendent quoi que ce soit aux choses intellectuelles et ne savent que confondre toutes les questions. Votre présence ici est déjà pénible pour moi ; n’en augmentez pas l’embarras en voulant m’imposer vos services. J’ai beaucoup pleuré alors à ce sujet, mais c’était au commencement ; plus tard je me suis endurcie. Mon père ne m’aimait pas, il ne m’aimerait jamais. C’était un malheur, comme tout dans ma vie avait été un malheur. Il y a des personnes qui naissent marquées pour la douleur. Il faut qu’elles se résignent de bonne heure ; je m’étais résignée.