Essai sur le commerce
9781465647054
313 pages
Library of Alexandria
Overview
La Terre est la source ou la matiere d'où l'on tire la Richesse; le travail de l'Homme est la forme qui la produit: & la Richesse en elle-même, n'est autre chose que la nourriture, les commodités & les agrémens de la vie. La Terre produit de l'herbe, des racines, des grains, du lin, du coton, du chanvre, des arbrisseaux & bois de plusieurs especes, avec des fruits, des écorces & feuillages de diverses sortes, comme celles des Meuriers pour les Vers à soie; elle produit des Mines & Minéraux. Le travail de l'Homme donne la forme de richesse à tout cela. Les Rivieres & les Mers fournissent des Poissons, pour la nourriture de l'Homme, & plusieurs autres choses pour l'agrément. Mais ces Mers & ces Rivieres appartiennent aux Terres adjacentes, ou sont communes; & le travail de l'Homme en tire le Poisson, & autres avantages. De quelque maniere que se forme une Société d'Hommes, la propriété des Terres qu'ils habitent, appartiendra nécessairement à un petit nombre d'entr'eux. Dans les Sociétés errantes, comme les Hardes des Tartares & les Camps des Indiens qui vont d'un lieu à un autre avec leurs Bestiaux & Familles, il faut que le Capitaine ou le Roi qui les conduit, regle les limites de chaque Chef de Famille, & les Quartiers d'un chacun autour du Camp. Autrement il y auroit toujours des contestations pour les Quartiers ou commodités, les bois, les herbes, l'eau, &c. mais lorsqu'on aura réglé les Quartiers & les limites d'un chacun, cela vaudra autant qu'une propriété pour le tems qu'ils y séjournent. Dans les Sociétés plus régulieres: Si un Prince à la tête d'une Armée, a conquis un Païs, il distribuera les Terres à ses Officiers ou Favoris, suivant leur mérite, ou son bon plaisir (cas où est originairement la France); il établira des loix pour en conserver la propriété à eux & à leurs Descendans: ou bien il se réservera la propriété des Terres, & emploiera ses Officiers ou Favoris, au soin de les faire valoir; ou les leur cédera à condition d'en païer tous les ans un certain cens, ou redevance; ou il leur cédera en se réservant la liberté de les taxer tous les ans, suivant ses besoins & leurs facultés. Dans tous ces cas, ces Officiers ou Favoris, soit qu'ils soient Propriétaires absolus, soit dépendans, soit qu'ils soient Intendans ou Inspecteurs du produit des Terres, ils ne feront qu'un petit nombre par rapport à tous les Habitans. Que si le Prince fait la distribution des Terres par portions égales à tous les Habitans, elles ne laisseront pas dans la suite de tomber en partage à un petit nombre. Un Habitant aura plusieurs Enfans, & ne pourra laisser à chacun d'eux une portion de Terre égale à la sienne: un autre mourra sans Enfans, & laissera sa portion à celui qui en a déja, plutôt qu'à celui qui n'en a pas: un troisieme sera fainéant, extravagant ou maladif, & se verra obligé de vendre sa portion à un autre qui a de la frugalité & de l'industrie, qui augmentera continuellement ses Terres par de nouveaux achats, auxquels il emploiera le travail de ceux, qui n'aïant aucune portion de terre à eux, seront obligés de lui offrir leur travail, pour subsister. Dans le premier établissement de Rome, on donna à chaque Habitant deux Journaux de terre: cela n'empêcha pas qu'il n'y eût bientôt après une inégalité aussi grande dans les patrimoines, que celle que nous voïons aujourd'hui dans tous les Etats de l'Europe. Les Terres tomberent en partage à un petit nombre. En supposant donc que les Terres d'un nouvel état appartiennent à un petit nombre de personnes, chaque Propriétaire fera valoir ses Terres par ses mains, ou les donnera à un ou plusieurs Fermiers: dans cette œconomie, il faut que les Fermiers & Laboureurs trouvent leur subsistance, cela est de necessité indispensable, soit qu'on fasse valoir les Terres pour le compte du Propriétaire même, ou pour celui du Fermier.