Simples Contes des Collines
9781465645746
188 pages
Library of Alexandria
Overview
Après le mariage, il se produit une réaction, tantôt forte, tantôt faible, mais il s'en produit une tôt ou tard, et il faut que chacun des conjoints suive la marée, s'il désire que le reste de la vie se passe au gré du courant. Dans le cas des Cusack-Bremmil, cette réaction ne se produisit que la troisième année après le mariage. Bremmil était difficile à mener, même quand tout marchait pour le mieux, mais ce fut un mari parfait jusqu'à ce que le petit enfant mourut et que mistress Bremmil se couvrit de noir, maigrit, et s'endeuilla comme si le fond de l'univers s'était dessoudé. Peut-être Bremmil eût-il dû la consoler. Il essaya, je crois, de le faire, mais, plus il prodiguait les consolations à mistress Bremmil, plus elle se désolait, et par conséquent plus Bremmil se sentait malheureux. Le fait est qu'ils avaient besoin d'un tonique. Et ils l'eurent. Mistress Bremmil peut en rire aujourd'hui, mais à cette époque-là la chose n'avait rien de risible pour elle. Voyez-vous, mistress Hauksbee apparut à l'horizon, et partout où elle paraissait, il y avait des chances d'orage. A Simla, on l'avait surnommée le pétrel des tempêtes. A ma connaissance, elle avait mérité cinq fois cette désignation. C'était une petite femme brune, mince, décharnée même, avec de grands yeux mobiles, nuancés en bleu de violette, et les manières les plus douces du monde. Il vous suffisait de prononcer son nom aux thés de l'après-midi pour que chacune des femmes qui se trouvaient présentes se redressât et déclarât que cette personne-là n'était point… une bénédiction. Elle était intelligente, spirituelle, brillante, à un degré qu'atteignent rarement ses pareilles, mais elle était possédée par nombre de diables malicieux et méchants. Elle était pourtant capable de gentillesse à l'occasion, même envers son propre sexe. Mais cela, c'est toute une autre histoire. Bremmil prit le large après la mort de l'enfant et le découragement complet qui en fut la suite, et mistress Hauksbee lui passa ses chaînes au cou. Il ne lui plaisait aucunement de cacher ses prisonniers. Elle l'enchaîna publiquement, elle s'arrangea en sorte que le public le vît. Bremmil faisait des promenades à cheval avec elle, des promenades à pied avec elle; il s'entretenait en tête-à-tête avec elle; il déjeunait sur l'herbe avec elle; il goûtait avec elle chez Peliti, si bien qu'à la fin les gens froncèrent le sourcil et s'en scandalisèrent. Mistress Bremmil restait chez elle, tournant et retournant les vêtements de l'enfant défunt et pleurant sur le berceau vide. Elle était indifférente à tout le reste. Mais quelques dames de ses amies, sept ou huit, très bonnes, pleines d'excellentes intentions, lui expliquèrent la situation bien en détail, de peur qu'elle n'en appréciât point tout le charme. Mistress Bremmil les laissa dire tranquillement et les remercia de leurs bons offices. Elle n'était pas aussi futée que mistress Hauksbee, mais elle n'était point une sotte. Elle n'en fit qu'à sa tête. Elle ne dit pas un mot à Bremmil de ce qu'elle avait appris. Cela vaut la peine d'être remarqué. Parler à un mari, ou lui faire une scène de larmes, n'a jamais abouti à rien de bon. Aux rares heures où Bremmil était à la maison, il se montrait plus affectueux que de coutume, et cela laissait voir son jeu. Il se contraignait à ces démonstrations, en partie pour apaiser sa propre conscience, en partie pour adoucir mistress Bremmil. Des deux côtés, il ne réussissait point. Alors l'aide de camp de service reçut de Leurs Excellences lord et lady Lytton l'ordre d'inviter Mr et Mistress Cusack-Bremmil à Peterhoff pour le 26 juillet, à neuf heures et demie du soir. Au coin de l'invitation, à gauche, était inscrite cette mention: «On dansera.»