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L'École des indifférents

9781465642028
102 pages
Library of Alexandria
Overview
Nous sommes tous deux de grande taille, tous deux blonds. Nous irions du même pas, dans nos promenades, s’il n’était flâneur et badaud. Mais Etienne voit tout, excepté ce qui est devant lui; je lui ferai commander des œillères. Quand un chat ronronne, sur un seuil, dans une fenêtre, il lui gratte longuement la tête, il énumère en miaulant ses charmes, mais si à sa vue l’animal voulut fuir, il esquisse les premiers pas d’une poursuite acharnée, pousse des cris, et l’épouvante. Aux chiens, déclare-t-il, il se doit de ne point celer qu’ils sont vraiment trop lâches, trop esclaves; il ne se hasarde guère d’ailleurs à les caresser. Pour ses amis les oiseaux, aux boutiques des quais, il leur fait visite couple par couple. Il félicite l’oiseleur qui dressa son étalage comme une échelle vivante, les poules à la base, les cailles vers le centre, les colibris au sommet. Il caquète:—Rossignols, Rossignols, jamais l’on n’a fait assez remarquer combien peu vous ressemblez aux merles! Et vous, perruches grises, qui courez à reculons, comme les écrevisses, devenez-vous rouges, sous l’Equateur? Rossignols, camarades, ne vous battez point de la sorte. Croyez-en le petit d’homme; ne vous aveuglez point entre vous: La nuit vient tous les soirs. Un oiseau lui donne l’envie d’aller sans perdre une minute au Brésil ou au Jardin des Plantes, un fruit exotique lui rend insupportable tout produit que ne cueillirent point des nègres entre les Tropiques et l’Equateur, un chapeau en vitrine lui fait avouer son désir irrésistible de voir une femme et d’aimer. Or voici que nous dépasse une demoiselle aux yeux verts. Elle a croisé ses mains dans son manchon et porte, comme un collier fermé, au repos, son étreinte. Elle satisfait le dernier vœu d’Etienne, mais ravive impitoyablement les deux autres, car sur son chapeau voisinent un oiseau-mouche et deux belladones géantes. Nous la suivons. Elle disparaît par la première porte cochère, alors que nous espérions l’avoir pour nous seuls au moins jusqu’au prochain coin de rue. Etienne est désespéré. Il l’adorait. Il doit avoir trouvé une consolation, car il chantonne. Il regarde le ciel à la dérobée. J’y suis: il a aperçu la lune. Dans ce midi d’automne, elle escorte, seconde roue inutile mais du moins silencieuse, le char de son frère aîné. Personne ne se doute que la nuit sera noire, mais le jour est plus clair de toute une clarté qui double de satin les taches de soleil. Etienne, qui me voit rêveur, n’ose me parler de la lune. Il faut que je la remarque le premier. Il me conduit hypocritement au bord du quai: elle flotte sur l’eau, vacille, plonge, un goujon a dû y mordre. Il me dirige face au Carrousel; elle nous prend de face, vraiment trop ronde, ses trous fraîchement bouchés au mastic.