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Mémoires de Aimée de Coigny

9781465639257
118 pages
Library of Alexandria
Overview
Il y a un fond de mépris dans la gloire que les hommes réservent aux femmes. Ils ne célèbrent guère d'elles que la beauté. Les dons de l'esprit et de l'âme ajoutent, ornements accessoires, à la parure des privilégiées qui possèdent l'essentiel, la perfection du corps. Faute de beauté, tout obscures et comme éteintes, quels talents ou quelles vertus ne leur faut-il pas pour sortir de l'ombre? Si cette beauté est éclatante, quoi qu'elles en aient fait, elles les absout et leur séduction leur survit. Le moins méritoire des avantages est celui dont on leur sait le plus de gré, et le plus court des triomphes perpétue leur nom. Aux grandes amoureuses surtout va cette popularité posthume. On dirait que, pour s'être données à quelques hommes, elles aient droit à la reconnaissance de tous. La curiosité du public reste fidèle aux plus inconstantes, il veut posséder les certitudes de leurs caprices, et des écrivains graves mettent les scellés de l'histoire sur des ailes de papillons. A cette sollicitude se révèle «l'éternel masculin», l'attrait permanent de la chair de l'homme pour la chair de la femme. C'est lui qui reconnaît dans les plus femmes des femmes «l'éternel féminin», le chef-d'œuvre de joie offert à l'homme par la nature. Et l'homme pense à lui-même, quand il s'occupe d'elles. La célébrité durable qu'il accorde aux dispensatrices les plus généreuses de cette joie est un encouragement aux vivantes de ne pas se montrer plus avares. Dans ces amours passées, le présent à son tour lit ses amours à venir. Ainsi, par la commémoration des disparues qui pratiquèrent la religion du plaisir, le culte de la volupté survit jusque dans le culte de la mort. Une autre gloire avait, à la fin du XVIIIe siècle, commencé pour «la jeune captive» dont les plaintes inspirèrent André Chénier. Sœur d'Iphigénie et non moins touchante, elle représentait, comme la vierge antique, et contre la même cruauté de la politique meurtrière, les droits d'une vie qui s'ouvre au bonheur. Le plus grec de nos poètes semblait l'avoir parée pour le sacrifice qui est la destinée de l'innocence et de la faiblesse dans les querelles des hommes. La puissance du génie créant une légende, les premiers de ceux qu'avait émus la plainte de la jeune captive crurent pleurer sur une victime des justices révolutionnaires. Et cette existence si tôt et si cruellement tranchée paraissait complète, privilégiée, puisque, assez longue pour connaître tous les bonheurs en espérance, il lui avait manqué seulement les années des désillusions, et puisque la morte avait obtenu du génie l'immortalité. La légende, comme à l'ordinaire, était plus belle que l'histoire. La jeune fille était une jeune femme, mariée depuis huit ans: elle échappa à l'échafaud, et mourut en 1820 dans son lit. Pour Aimée de Coigny, duchesse de Fleury, la renommée virginale et héroïque se continua en une de ces réputations moins austères qui ne se sacrent pas, mais caressent. Les temps si divers où elle vécut s'accordaient à lui reconnaître une double puissance: tant de beauté qu'on lui eût permis d'être sotte, et tant d'esprit qu'on lui eût pardonné d'être laide. La beauté de traits n'a qu'une beauté, la beauté d'expression a autant de beautés que de sentiments. Tous ceux d'Aimée se reflétaient sur son visage et passaient dans ses attitudes. Le charme même de son corps était fait aussi de pensée. Et cette pensée profonde, variée, imprévue, hardie en ses examens, soudaine en ses ripostes, redoutable dans ses ironies, irrésistible dans sa gaieté, tirait de sa mobilité même un charme de plus et paraissait toujours nouvelle. Il y avait en elle trop de femmes pour qu'on se défendît contre toutes: qui résistait à l'une cédait à l'autre.