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Fragments d'épopées romanes du XIIe siècle

traduits et annotés par Edward le Glay

9781465634498
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Toute littérature commence par la poésie: singulière destinée dont l'explication importe peu ici, mais qu'il faut signaler pourtant, ne fût-ce que pour constater l'origine toujours antique, toujours mystérieuse de cette forme du langage humain. Quand une société vient à naître, elle chante tout d'abord, et elle conte: c'est l'enfance qui s'émeut et qui s'émerveille, qui s'éprend et qui veut que tout s'éprenne, s'ébaudisse autour d'elle: «Oyez chançons de joie et de baudour!» Imprévoyantes et insoucieuses de l'avenir, les jeunes nations, comme les jeunes individus, se complaisent dans le passé. Ce sont de pieux enfants qui voient en beau tout ce qu'ont fait leurs pères, qui professent un doux culte pour les souvenirs, non pour ceux de la triste réalité et de l'histoire nue et froide, mais pour les souvenances embellies de tous les charmes de l'imagination, colorées de toutes les fantaisies du mystère. Et remarquez qu'au milieu de ces rêveries où s'égare la jeune raison des peuples, c'est encore l'histoire qu'ils croient écrire ou entendre; ils sont de bonne foi dans leurs gracieux mensonges; car leurs œuvres ne seraient pas empreintes de tant de génie, s'ils avaient menti sciemment. Ils ont été les premiers à croire en leurs propres créations. Et d'ailleurs, qui oserait affirmer que la vérité n'y est point? Je veux dire la vérité morale, poétique, la vérité de sentiment et d'impression. C'est dans les plus beaux siècles de l'antiquité, que l'on a manifesté le plus d'admiration pour les écrivains poétiques des premiers âges. La Grèce a eu des temples pour Homère, des autels pour Hésiode. Elle a, pour ainsi dire, divinisé les neuf livres de l'histoire un peu fabuleuse d'Hérodote, en désignant chacun d'eux sous le nom de l'une des neuf Muses. Là il ne s'est pas trouvé des hommes qui, sous prétexte de je ne sais quelle renaissance, ont répudié les premiers et les plus beaux monuments de la littérature nationale. On n'a point vu dans Athènes des professeurs d'égyptien et de persan, impatroniser, dans les jardins d'Académus, les livres venus de Memphis et d'Ecbatane, et proscrire ceux des rapsodes, d'Eschyle ou de Thespis.