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Paris Anecdote

Avec une préface et des notes par Charles Monselet

9781465627629
313 pages
Library of Alexandria
Overview
NE vous est-il point arrivé, en vous promenant dans Paris, un jour de fête, par exemple, de vous demander comment toute cette population peut faire pour vivre? Puis, vous livrant mentalement aux douceurs de la statistique, cette science si chère aux flâneurs et aux savants, si vous avez calculé combien la grande cité contient de maçons, de rentiers, de charcutiers, d’avocats, de charpentiers, de médecins, de bijoutiers, de forts de la halle, de banquiers, en un mot d’hommes exerçant au grand jour, par devant la société et la loi, des professions avouées et inscrites dans le Dictionnaire de l’Académie, n’avez-vous pas toujours trouvé des masses énormes de gens auxquels vous ne pouviez assigner aucun état, aucun emploi, aucune industrie? Eh bien! tous ces gens-là composent la grande famille des existences problématiques, que, suivant les statisticiens patentés, MM. Parent-Duchatelet, Moreau Jonnès, Frégier, on évalue à soixante-dix mille; c’est-à-dire que chaque matin il y a à Paris soixante-dix mille personnes de tout âge qui ne savent ni comment elles mangeront, ni où elles se coucheront. Et cependant tout ce monde-là finit par manger, ou à peu près. Comment font-elles? C’est leur secret, secret souvent terrible, que divulguent les tribunaux. Mais nous n’avons rien à dire des classes dangereuses; nous laissons aux hommes sérieux le soin d’en parler dans de gros livres que personne ne lit, mais que l’Académie couronne. Nous ne voulons que vous donner une idée de l’esprit ingénieux du Parisien, en passant en revue la race pauvre, laborieuse, intelligente, qui a su se créer une industrie honnête répondant aux divers besoins du public. Dans nos excursions à travers le douzième arrondissement, nous avons vu des choses si surprenantes que nous n’avons pu résister au désir de les livrer à la curiosité des lecteurs. Ils verront que bien des gens entreprennent de longs voyages, des courses périlleuses, pour trouver des choses extraordinaires, lorsque, à leur porte, à une course d’omnibus de leur foyer, le nouveau, le bizarre, l’extraordinaire, se rencontrent à chaque pas. Les mœurs patriarcales de l’âge d’or, la finesse du sauvage, la naïveté du nègre de la côte de Guinée, sont des choses communes. Levaillant, le capitaine Cook, René Caillié, n’ont rien observé de plus curieux dans leurs voyages aux pays sans nom que ce que nous avons vu dans certains quartiers de Paris. Il existe derrière le Collège de France, entre la bibliothèque Sainte-Geneviève, les bâtiments de l’ancienne École normale, le collège Sainte-Barbe et la rue Saint-Jean-de-Latran, tout un gros pâté de maisons connu sous le nom de Mont-Saint-Hilaire. Ce quartier ressemble beaucoup à un gigantesque échiquier: il est tout emmêlé de petites rues sales et étroites, qui se coupent à angle droit et forment de tout petits carrés de maisons adossées les unes aux autres. Dans cet îlot, long d’une centaine de mètres sur quarante de largeur, on trouve une dizaine de rues toutes vieilles, noires et tortueuses. Le Mont-Saint-Hilaire est le point culminant de ce qu’on est convenu d’appeler le quartier Latin; c’est l’extrême limite du pays de la science et de la Montagne-Sainte-Geneviève, dont il est séparé par une rue et quelques maisons. Mais quelle différence de mœurs, de population et d’industries! Car Paris a cela de merveilleux que les habitudes de la population d’une rue ne ressemblent pas plus à celles des habitants de la rue voisine que les mœurs du Lapon ne ressemblent à celles des peuples de l’Amérique du Sud. Vous tournez un coin de rue, et l’aspect change, la population aussi. Les goûts, la manière d’être, les travaux, les industries, rien ne se ressemble. Les habitants de la rue Meslay sont aussi différents de ceux de la rue Saint-Martin que les mœurs douces des petits rentiers de la rue Copeau diffèrent des coutumes bruyantes de leurs voisins de la rue Mouffetard.