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La solitude

9781465626745
301 pages
Library of Alexandria
Overview
Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Des besoins innombrables, un penchant naturel, inné, forment les liens de la société, et nous voyons par là que nous ne sommes pas faits uniquement pour la solitude. La société est le premier besoin de l'homme. Dieu lui-même a consacré le penchant à la vie sociale par ces paroles: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul.» Puis il ajouta: «Je lui donnerai une compagne avec laquelle il vivra.» Dans le monde, on dénature le sens des paroles de Dieu, et l'on s'imagine que, pour que l'homme ne soit pas seul, il faut qu'il se montre chaque jour dans un cercle ou dans un salon. Le penchant à la vie domestique, aux relations intimes, est inné en nous. En le suivant, nous obéissons à notre propre nature. Mais dès que nous sentons s'éveiller le penchant qui nous entraîne vers les réunions du monde, nous devons être sur nos gardes. Le premier est indestructible aussi longtemps que l'homme reste fidèle à sa vocation. Le second est une œuvre d'oisiveté, un besoin factice, une habitude qui naît de l'ennui et de la curiosité. Il y a dans les relations affectueuses une source indicible de bonheur. En exprimant nos sensations, en faisant avec un ami un sincère échange de nos idées et de nos conceptions, nous éprouvons une sorte de volupté, à laquelle l'ermite le plus indifférent ne reste pas indifférent. Je ne puis faire entendre mes plaintes aux rochers, ni raconter mes joies aux vents du soir. Mon âme soupire après une âme qu'elle aime comme une sœur; mon cœur cherche un cœur qui lui ressemble. Le ciel et la terre disparaissent près de la femme que nous aimons. Loin du monde et de ses liaisons, quel plaisir goûterions-nous dans la plupart de nos connaissances, de nos sentiments et de nos pensées? De même tout semble froid, morne, désert dans les réunions les plus brillantes, s'il ne s'y trouve pas un cœur attaché à nous par l'affection. Mais si vous renoncez au tourbillon des plaisirs, on vous appelle misanthrope. Si, pour travailler à une œuvre importante que vous ne pouvez accomplir que dans le silence de la retraite, vous vous exemptez des visites monotones, on dit que vous êtes insociable. Si vous fuyez le monde, soit dans une de ces heures de découragement où tout se montre à l'esprit sous les couleurs les plus sombres, soit dans les regrets que vous cause un amour malheureux, dans ces regrets profonds où vous ne voyez plus rien qui vous attire, qui vous satisfasse, et personne qui vous comprenne, on dit que vous êtes un insensé. Cependant vous ne renonceriez point au monde, si vous y trouviez toujours un cœur qui répondît à votre cœur et non point quelques-unes de ces vaines poupées pareilles à celle dont une dame me parlait un jour. Elle était encore presque enfant, lorsque son tuteur lui donna une poupée des plus belles. Le lendemain il voulut voir quel effet avait produit son présent. La poupée était au feu. «Pourquoi, ma fille, dit le tuteur, as-tu anéanti ce que je t'avais donné?» La jeune fille lui dit en pleurant: «J'ai dit à cette poupée que je l'aimais, et elle ne m'a pas répondu.»