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L'Île Des Pingouins

9781465604866
210 pages
Library of Alexandria
Overview
Malgré la diversité apparente des amusements qui semblent m'attirer, ma vie n'a qu'un objet. Elle est tendue tout entière vers l'accomplissement d'un grand dessein. J'écris l'histoire des Pingouins. J'y travaille assidument, sans me laisser rebuter par des difficultés fréquentes et qui, parfois, semblent insurmontables. J'ai creusé la terre pour y découvrir les monuments ensevelis de ce peuple. Les premiers livres des hommes furent des pierres. J'ai étudié les pierres qu'on peut considérer comme les annales primitives des Pingouins. J'ai fouillé sur le rivage de l'océan un tumulus inviolé; j'y ai trouvé, selon la coutume, des haches de silex, des épées de bronze, des monnaies romaines et une pièce de vingt sous à l'effigie de Louis-Philippe 1er, roi des Français. Pour les temps historiques, la chronique de Johannès Talpa, religieux du monastère de Beargarden, me fut d'un grand secours. Je m'y abreuvai d'autant plus abondamment qu'on ne découvre point d'autre source de l'histoire pingouine dans le haut moyen âge. Nous sommes plus riches à partir du XIIIe siècle, plus riches et non plus heureux. Il est extrêmement difficile d'écrire l'histoire. On ne sait jamais au juste comment les choses se sont passées; et l'embarras de l'historien s'accroît avec l'abondance des documents. Quand un fait n'est connu que par un seul témoignage, on l'admet sans beaucoup d'hésitation. Les perplexités commencent lorsque les événements sont rapportés par deux ou plusieurs témoins; car leurs témoignages sont toujours contradictoires et toujours inconciliables. Sans doute les raisons scientifiques de préférer un témoignage à un autre sont parfois très fortes. Elles ne le sont jamais assez pour l'emporter sur nos passions, nos préjugés, nos intérêts, ni pour vaincre cette légèreté d'esprit commune à tous les hommes graves. En sorte que nous présentons constamment les faits d'une manière intéressée ou frivole. J'allai confier à plusieurs savants archéologues et paléographes de mon pays et des pays étrangers les difficultés que j'éprouvais à composer l'histoire des Pingouins. J'essuyai leurs mépris. Ils me regardèrent avec un sourire de pitié qui semblait dire: «Est-ce que nous écrivons l'histoire, nous? Est-ce que nous essayons d'extraire d'un texte, d'un document, la moindre parcelle de vie ou de vérité? Nous publions les textes purement et simplement. Nous nous en tenons à la lettre. La lettre est seule appréciable et définie. L'esprit ne l'est pas; les idées sont des fantaisies. Il faut être bien vain pour écrire l'histoire: il faut avoir de l'imagination.»