Nouveaux contes bleus
9781465595713
pages
Library of Alexandria
Overview
Je connais des gens d'esprit, de graves et discrètes personnes, pour qui les contes de fées ne sont qu'une littérature de nourrices et de bonnes d'enfants. N'en déplaise à leur sagesse, ce dédain ne prouve que leur ignorance. Depuis que la critique moderne a retrouvé les origines de la civilisation et restitué les titres du genre humain, les contes de fées ont pris dans l'estime des savants une place considérable. De Dublin à Bombay, de l'Islande au Sénégal, une légion de curieux recherche pieusement ces médailles un peu frustes, mais qui n'ont perdu ni toute leur beauté ni tout leur prix. Qui ne connaît le nom des frères Grimm de Simrock, de Wuk Stephanovitch, d'Asbjoernsen, de Moe, d'Arnason, de Hahn et de tant d'autres? Perrault, s'il revenait au monde, serait bien étonné d'apprendre qu'il n'a jamais été plus érudit que lorsqu'il oubliait l'Académie pour publier les faits et gestes du Chat botté. Aujourd'hui que chaque pays reconstitue son trésor de contes et de légendes, il est visible que ces récits qu'on trouve partout, et qui partout sont les mêmes, remontent à la plus haute antiquité. La pièce la plus curieuse que nous aient livrée les papyrus égyptiens, grâce à mon savant confrère, M. de Rougé, c'est un conte qui rappelle l'aventure de Joseph. Qu'est-ce que l'Odyssée, sinon le recueil des fables qui charmaient la Grèce au berceau? Pourquoi Hérodote est-il à la fois le plus exact des voyageurs et le moins sûr des historiens, sinon parce qu'à l'exposé sincère de tout ce qu'il a vu, il mêle sans cesse les merveilles qu'on lui a contées? La louve de Romulus, la fontaine d'Égérie, l'enfance de Servius Tullius, les pavots de Tarquin, la folie de Brutus, autant de légendes qui ont séduit la crédulité des Romains. Le monde a eu son enfance, que nous appelons faussement l'antiquité; c'est alors que l'esprit humain a créé ces récits qui édifiaient les plus sages et qui, aujourd'hui que l'humanité est vieille, n'amusent plus que les enfants.