L'été de Guillemette
Henri Ardel
9781465566539
213 pages
Library of Alexandria
Overview
Dans la fournaise du grand magasin que chauffe, à travers les stores baissés, un ardent soleil de juillet, Guillemette Seyntis, d’un air de personne très raisonnable, trotte allègrement, de comptoir en comptoir, pour remplir les diverses missions d’achat que sa mère lui a confiées. L’atmosphère est étouffante, malgré les vitres ouvertes, et pâlit le visage des infortunées vendeuses qui, depuis le matin, s’appliquent à répondre fructueusement aux désirs variés de clientes toujours renouvelées… Qui donc a prétendu, qu’en juillet, il n’y a plus personne à Paris ? Elle, Guillemette, est seulement un peu plus rose qu’une demi-heure plus tôt quand, sous l’escorte de miss Murphy, elle est descendue de voiture devant le trottoir encombré par la foule des acheteuses qui s’affairent, coude contre coude, autour des étalages discrètement ennuagés de poussière, mais combien riches d’occasions ! Dans le dédale des galeries où, en multiples aspects, la tentation s’épanouit, elle a glissé de son pas souple de créature très jeune ; amusée d’acheter, car ignorant, de par la grâce du ciel, la valeur de l’argent, elle trouve aussi charmant que naturel de s’offrir tout ce qui lui plaît. Guillemette Seyntis est une enfant gâtée de la vie. La destinée a fait d’elle une précieuse héritière, l’a pourvue d’une mère parfaite et lui a donné pour père un grand financier qui se trouve être, en même temps, un très honnête et très galant homme dont l’honorabilité est aussi indiscutable qu’enviée de beaucoup, dans le monde des manieurs d’argent où il est une puissance. De là, chez elle, une fort riante conception de l’existence qu’elle goûte avec une âme frémissante et une pensée vive, indépendante, curieuse ; avec l’agréable certitude d’avoir reçu de la nature une silhouette qui resterait élégante et fine sous des guenilles ; un visage délicatement modelé d’un trait spirituel — comme en dessine Helleu… — où fleurit le sombre iris des grands yeux d’un bleu violet ; une onduleuse chevelure châtain, ombrée de moires d’or. De telle sorte qu’elle paraît, selon les caprices de la lumière, très blonde ou presque brune… Certes, Guillemette aime beaucoup mieux être, sans conteste, une jolie créature… Mais cela étant vérité reconnue, elle accepte comme toute naturelle cette favorable situation et n’en tire nulle vanité. A ses heures, elle est coquette comme une autre, — sans un brin de perversité, — parce qu’elle a dix-huit ans et que ça l’amuse de plaire, fût-ce à des indifférents… Elle l’est de manière discrète, car c’est une petite fille fort bien élevée et, dans le monde, elle ne se montre pas de ces jeunes personnes qui s’affichent par des flirts audacieux et scandalisent les mères de famille en allumant de leur mieux les vains désirs des jeunes hommes. Aussi Mme Seyntis déclare-t-elle, — bien sincère ! — que sa fille est encore une gamine qui ne pense qu’à la danse.