Physiologie de l'Amour Moderne
9781465556288
pages
Library of Alexandria
Overview
Au mois de septembre 1888, la Vie Parisienne, ce curieux journal d'observation et de raillerie, d'élégance mondaine et de philosophie profonde, l'image en un mot de Marcelin,—ce dandy camarade de Taine,—et que son esprit anime encore, publiait la lettre suivante, adressée à son directeur par le signataire de la présente préface:… se ressente des lieux et fréquentait l'auteur… . «Mon devoir d'exécuteur testamentaire m'interdisait de toucher même aux passages qui peuvent choquer le plus mon goût personnel. Voici donc le manuscrit intact avec son épigraphe: «Pas de pudeur devant le vrai pour qui se sent un savant.» Publiez ce que vos abonnés en pourront supporter sans trop d'ennui, et croyez-moi, etc.» Elle était bien nette, semble-t-il, cette lettre. C'était avertir le lecteur dès la première page qu'il ne trouverait pas dans le livre,—ou les fragments de livre,—ainsi présenté, un traité de l'amour à la Beyle ou à la Michelet, avec un plan raisonné, avec des généralisations savantes, avec une doctrine enfin, bonne ou mauvaise. Cette Physiologie—dénommée de ce gros nom par naïf snobisme littéraire et ressouvenir d'un vieux genre démodé—ne pouvait être, dans ces conditions, qu'une mosaïque de notes écrites au jour la journée par un humoriste désenchanté. L'étiquette annonçait une œuvre sans suite, avec des pages sans lien, au ton inégal, heurtées, parfois justes, plus souvent excessives, quelque chose comme des propos de club ou de fumoir, entre voisins qui goûtent la malice des anecdotes sans trop y croire, qui ne peuvent se passer d'aimer et qui voudraient n'être pas trop dupes, tout en se résignant d'avance à l'être beaucoup. Ce ne serait pas du grand art, ce ne serait pas non plus de l'art très délicat, que la notation d'une causerie de ce genre. Pourtant, cela pourrait être de l'art encore, et tel fut évidemment le rêve de mon camarade tant regretté. J'avais cru devoir accomplir les dernières intentions en donnant au public ces débris d'un ouvrage qu'entre parenthèses je considère comme impossible à jamais mettre sur pied d'ensemble. Le cœur de chacun est un univers à part, et prétendre définir l'Amour, c'est-à-dire tous les Amours, constitue, pour quiconque a vécu, une insoutenable prétention, presque un enfantillage. Aussi craignais-je surtout, je le confesse, que cette Physiologie ne parût bien innocente avec ses allures à demi dogmatiques. Plusieurs écrivains en jugèrent ainsi. L'un d'eux, le plus raffiné des érotographes contemporains, me fit déclarer que Claude professait sur l'amour les idées d'un bourgeois du Marais. Que ne fût-ce l'avis universel? Je n'aurais pas reçu les lettres dont il est parlé dans la Méditation dernière et où mon pauvre alter ego des douloureuses années était traité de «Stendhal pour Alphonses». Je n'aurais pas provoqué l'indignation des vertueuses personnes du quartier Marbeuf qui ont déclaré à leurs protecteurs que j'étais un homme à ne plus recevoir. Je n'aurais pas subi les conseils attristés des amies qui me font le grand honneur de s'intéresser à la conduite de mon œuvre. Bref, ce fut un universel tolle qui m'eût, je le confesse encore, laissé cependant assez indifférent, car je le trouvais un peu conventionnel et très inique, au lieu que je me suis senti très troublé par des éloges qui me firent, eux, craindre vivement que mon cher Claude n'eût fait fausse route. Mon vieil ami, à travers bien des défauts d'esprit et les égarements de ses sensualités, partageait ma conviction qu'un écrivain digne de tenir une plume a pour première et dernière loi d'être un moraliste. Seulement, c'est encore là un de ces mots qui paraissent simples et qui enferment en eux des mondes de significations. Quand nous discutions ensemble, jadis,—ce jadis qui me paraît si lointain, et il date d'hier!—Claude définissait ce mot par des phrases dont je retrouve la transcription dans mon journal