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M�ires Pour Servir �'Histoire De Mon Temps

9781465539465
pages
Library of Alexandria
Overview
LA FRANCE AVANT LA RESTAURATION. Mes raisons pour publier ces Mémoires de mon vivant—Mon entrée dans le monde—Mes premières relations avec M. de Chateaubriand, M. Suard, Mme de Staël, M. de Fontanes M. Royer-Collard.—On veut me faire nommer auditeur au Conseil d'État impérial.—Pourquoi cela n'eut pas lieu—J'entre dans l'Université—J'ouvre mon cours d'histoire moderne—Salons libéraux et comité royaliste—Caractère des diverses oppositions vers la fin de l'Empire.—Tentative de résistance du Corps législatif.—MM. Laîné, Gallois, Maine-Biran, Raynouard et Flaugergues—Je pars pour Nîmes—État et aspect de Paris et de la France en mars 1814—La Restauration s'accomplit.—Je reviens à Paris et je suis nommé secrétaire général au ministère de l'intérieur. (1807-1814.) J'agis autrement que n'ont fait naguère plusieurs de mes contemporains; je publie mes Mémoires pendant que je suis encore là pour en répondre. Ce n'est point par lassitude du repos, ni pour rouvrir à d'anciennes luttes une petite arène, à défaut de la grande, maintenant fermée. J'ai beaucoup lutté dans ma vie, et avec ardeur. L'âge et la retraite ont répandu, pour moi, leur paix sur le passé. C'est d'un ciel profondément serein que je reporte aujourd'hui mes regards vers cet horizon chargé de tant d'orages. Je sonde attentivement mon âme, et je n'y découvre aucun sentiment qui envenime mes souvenirs. Point de fiel permet beaucoup de franchise. C'est la personnalité qui altère ou décrie la vérité. Voulant parler de mon temps et de ma propre vie j'aime mieux le faire du bord que du fond de la tombe. Pour moi-même, j'y trouve plus de dignité, et pour les autres j'en apporterai, dans mes jugements et dans mes paroles, plus de scrupule. Si des plaintes s'élèvent, ce que je ne me flatte guère d'éviter, on ne dira pas du moins que je n'ai pas voulu les entendre, et que je me suis soustrait au fardeau de mes oeuvres. D'autres raisons encore me décident. La plupart des. Mémoires sont publiés ou trop tôt ou trop tard. Trop tôt, ils sont indiscrets ou insignifiants; on dit ce qu'il conviendrait encore de taire, ou bien on tait ce qui serait curieux et utile à dire. Trop tard, les Mémoires ont perdu beaucoup de leur opportunité et de leur intérêt; les contemporains ne sont plus là pour mettre à profit les vérités qui s'y révèlent et pour prendre à leurs récits un plaisir presque personnel. Ils n'ont plus qu'une valeur morale ou littéraire, et n'excitent plus qu'une curiosité oisive. Quoique je sache combien l'expérience s'évanouit en passant d'une génération à l'autre, je ne crois pas qu'il n'en reste absolument rien, ni que la connaissance précise des fautes des pères et des raisons de leurs échecs demeure tout à fait sans fruit pour les enfants. Je voudrais transmettre à ceux qui viendront après moi, et qui auront aussi leurs épreuves, un peu de la lumière qui s'est faite, pour moi, à travers les miennes. J'ai défendu tour à tour la liberté contre le pouvoir absolu et l'ordre contre l'esprit révolutionnaire; deux grandes causes qui, à bien dire, n'en font qu'une, car c'est leur séparation qui les perd tour à tour l'une et l'autre. Tant que la liberté n'aura pas hautement rompu avec l'esprit révolutionnaire et l'ordre avec le pouvoir absolu, la France sera ballottée de crise en crise et de mécompte en mécompte. C'est ici vraiment la cause nationale. Je suis attristé, mais point troublé de ses revers; je ne renonce ni à son service ni à son triomphe. Dans les épreuves suprêmes, c'est mon naturel, et j'en remercie Dieu comme d'une faveur, de conserver les grands désirs, quelque incertaines ou lointaines que soient les espérances. Dans les temps anciens et modernes, de grands historiens, les plus grands, Thucydide, Xénophon, Salluste, César, Tacite, Machiavel, Clarendon, ont écrit et quelques-uns ont eux-mêmes publié l'histoire de leur temps et des événements auxquels ils avaient pris part Je n'entreprends point une telle oeuvre; le jour de l'histoire n'est pas venu pour nous, de l'histoire complète et libre, sans réticence ni sur les faits ni sur les hommes. Mais mon histoire propre et intime, ce que j'ai pensé, senti et voulu dans mon concours aux affaires de mon pays, ce qu'ont pensé, senti et voulu avec moi les amis politiques auxquels j'ai été associé, la vie de nos âmes dans nos actions, je puis dire cela librement, et c'est là surtout ce que j'ai à coeur de dire, pour être, sinon toujours approuvé, du moins toujours connu et compris. A cette condition, d'autres marqueront un jour avec justice notre place dans l'histoire de notre temps