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Le Sorcier De Meudon

Eliphas L?

9781465536334
pages
Library of Alexandria
Overview
Idiots très-illustres, et vous, tourneurs de tables très-précieux, onques ne vous avisâtes-vous de reconnaître en la personne sacrée du joyeux curé de Meudon, l'un de nos plus grands maîtres dans là science cachée des mages. C'est que sans doute vous n'avez ni lu convenablement, ni médité bien à point ses pantagruélines prognostications, voire même cette énigme en manière de prophétie qui commence le grimoire de Gargantua. Maître François n'en fut pas moins le plus illustre enchanteur de France, et sa vie est un véritable tissu de merveilles, d'autant qu'il fut lui-même à son époque l'unique merveille du monde. Protestant du bon sens et du bon esprit, en un siècle de folie furieuse et de discordes fanatiques; magicien de la gaie science en des jours de funèbre tristesse, bon curé et orthodoxe s'il en fut, il concilia et sut réunir en lui-même les qualités les plus contraires. Il prouva par sa science encyclopédique la vérité de l'art notoire, car il eût, mieux que Pic de la Mirandole, pu disputer de omni re scibili et quibusdam aliis. Moine et bel esprit, médecin du corps et de l'âme, protégé des grands et gardant toujours son indépendance d'honnête homme; Gaulois naïf, profond penseur, parleur charmant, écrivain incomparable, il mystifia les sots et les persécuteurs de son temps (c'étaient comme toujours les mêmes personnages), en leur faisant croire, non pas que vessies fussent lanternes, mais bien au contraire que lanternes fussent vessies, tant et si bien que le sceptre de la sagesse fut pris par eux pour une marotte, les fleurons de sa couronne d'or pour des grelots, son double rayon de lumière, semblable aux cornes de Moïse, pour les deux grandes oreilles du bonnet de Folie. C'était, en vérité, Apollon habillé de la peau de Marsyas, et tous les capripèdes de rire et de le laisser passer en le prenant pour un des leurs. Oh! le grand sorcier que celui-là qui désarmait les graves sorbonistes en les forçant à rire, qui défonçait l'esprit à pleins tonneaux, lavait les pleurs du monde avec du vin, tirait des oracles des flancs arrondis de la dive bouteille; sobre d'ailleurs lui-même et buveur d'eau, car celui-là seul trouve la vérité dans le vin qui la fait dire aux buveurs, et pour sa part ne s'enivre jamais. Aussi, avait-il pour devise cette sentence profonde qui est un des grands arcanes de la magie et du magnétisme: Noli ire, fac venire. Ne vas pas, fais qu'on vienne. Oh! la belle et sage formule! N'est-ce pas en deux mots toute la philosophie de Socrate, qui ne sut pas bien toutefois en accomplir le mirifique programme, car il ne fit pas venir Anitus à la raison et fut lui-même forcé d'aller à la mort. Rien en ce monde ne se fait avec l'empressement et la précipitation, et le grand oeuvre des alchimistes n'est pas le secret d'aller chercher de l'or, mais bien d'en faire tout bellement et tout doucettement venir. Voyez le soleil, se tourmente-t-il et sort-il de son axe pour aller chercher, l'un après l'autre, nos deux hémisphères? Non, il les attire par sa chaleur aimantée, il les rend amoureux de sa lumière, et tour à tour ils viennent se faire caresser par lui. C'est ce que ne sauraient comprendre les esprits brouillons, fauteurs de désordres et propagateurs de nouveautés. Ils vont, ils vont, ils vont toujours et, rien ne vient. Ils ne produisent que guerres, réactions, destructions et ravages. Sommes-nous bien avancés en théologie depuis Luther? Non, mais le bon sens calme et profond de maître François a créé depuis lui le véritable esprit français, et, sous le nom de pantagruélisme, il a régénéré, vivifié, fécondé cet esprit universel de charité bien entendue, qui ne s'étonne de rien, ne se passionne pour rien de douteux et de transitoire, observe tranquillement la nature, aime, sourit, console et ne dit rien. Rien; j'entends rien de trop, comme il était recommandé par les sages hiérophantes aux initiés de la haute doctrine des mages. Savoir se taire, c'est la science des sciences, et c'est pour cela que maître François ne se donna, de son temps, ni pour un réformateur, ni surtout pour un magicien, lui qui savait si parfaitement entendre et si profondément sentir cette merveilleuse et silencieuse musique des harmonies secrètes de la nature. Si vous êtes aussi habile que vous voudriez le faire croire, disent volontiers les gobe-mouches et les badauds, surprenez-nous, amusez-nous, escamotez la muscade mieux que pas un, plantez des arbres dans le ciel, marchez la tête en bas, ferrez les cigales, faites leçon de grimoire aux oisons bridés, plantez ronces et récoltez roses, semez figues et cueillez raisins… Allons, qui vous retarde, qui vous arrête? On ne brûle plus maintenant les enchanteurs, on se contente de les baffouer, de les injurier, de les appeler charlatans, affronteurs, saltimbanques. Vous pouvez, sans rien craindre, déplacer les étoiles, faire danser la lune, moucher la bougie du soleil. Si ce que vous opérez est vraiment prodigieux, impossible, incroyable… eh bien! que risquez-vous? Même après l'avoir vu, même en le voyant encore, on ne le croira pas